Il y a eu le centre-ville, dans les années 70 et 80, avec ses restaurants français classiques où les hommes d'affaires allaient boire leurs martinis avant le lunch. Il y a eu le boulevard Saint-Laurent, près de la rue Sherbrooke, où, dans les années 90, on se battait pour avoir une réservation le vendredi soir. Il y a eu la rue Saint-Denis, dans les années 80, où l'Express a lancé une tendance bistro moderne, où le Continental est devenu le rendez-vous de tous les artistes post-tournage, post-théâtre. Il y a eu, évidemment, l'avenue du Mont-Royal, où les années 2000 ont vu exploser le nombre de restaurants, de cafés, de bars et compagnie - pas toujours les meilleurs, mais toujours animés.

Que dira-t-on des années que l'on vit actuellement quand viendra le temps de décrire le quartier montréalais où tout se passe? Où est l'action? Toujours sur le Plateau, qui demeure un phare? Dans le Sud-Ouest (Griffintown, Petite-Bourgogne, Saint-Henri) en pleine expansion? Ou doit-on seulement penser au Mile End, plus branché que jamais?

La première réponse qui me vient à l'esprit est que les cinq dernières années ont été celles du Vieux-Montréal, où le groupe derrière des établissements comme Bar&Boeuf, les 400 Coups, Sinclair et compagnie ont multiplié les tables pas toujours révolutionnaires, mais intéressantes et accessibles. Où les casse-croûte Titanic et Olive + Gourmando traversent les années sans prendre une ride, plus actuels que jamais, maintenant épaulés par Gros Jambon, rue Notre-Dame, ou Mangiafoco et ses pizzas dignes de ce nom. Où Graziella continue d'être une valeur sûre, avec sa grande cuisine italienne impeccable et son environnement élégant. Et où Toqué! est un phare.

Mais ce qui est frappant dans la période actuelle, c'est l'éclatement des centres névralgiques, la dispersion de l'intérêt, la naissance de petits pôles sympathiques un peu partout dans la ville, de la rue Masson au quartier Saint-Henri.

Le restaurant de quartier se multiplie, s'incruste dans des zones inédites.

Ainsi, le Sud-Ouest, le marché Atwater en son centre, est en train de voir apparaître toutes sortes d'adresses qui se mélangent et se fondent aux environs authentiques.

Traînez rue Notre-Dame, vers l'ouest, et vous tomberez sur le café Saint-Henri, réputé pour ses torréfactions maison. Poussez jusqu'à la rue De Courcelles, où vous trouverez le super loft du Grumman78, le quartier général du camion de taco nouveau genre qui est maintenant ouvert comme un resto, du mercredi au lundi. Et puis, plus au sud, le bar De Courcelles étend la frontière de la zone cool.

Vers l'est? Il y a Joe Beef et Liverpool House, of course, rue Notre-Dame, et tout Griffintown, qui est en train de se construire, pour le meilleur et pour le pire.

Autre zone excentrée que j'aime bien: la rue Fleury Ouest, celle qui s'étend autour de la rue Saint-Urbain, lancée par le restaurant éponyme, mais qui a pris du coffre depuis avec toutes sortes d'autres petits commerces, comme La Bête à pain - qui produit les meilleurs biscuits aux morceaux de chocolat en ville - ou La Consigne, boutique spécialisée en bière locale, tenue par un collègue graphiste et fou de skateboard, Yanick Nolet. Un de mes coups de coeur de l'année.

Si on veut trouver un exemple pour illustrer le rôle de moteur économique et urbain que peut jouer un seul bon restaurant dans un quartier - comme l'ont fait les établissements de la chef Barbara Lynch à Boston -, voilà un bel exemple à donner à Montréal. Bravo à l'équipe du chef Marc-André Royal.

J'entends déjà les gens de la rue Masson dire qu'on ne peut pas les oublier. Bien sûr. Et là aussi, le M sur Masson, excellente table classique, pourra être cité en exemple, même si l'effort a été réparti.

Dans la catégorie «s'est installé dans un quartier vraiment pas facile», on pourrait mettre ex aequo Ma Grosse Truie chérie, rue Ontario, à l'est de l'avenue Papineau, zone où on aurait plus tendance à aller magasiner les tatouages que la poutine au foie gras, et Bouillon Bilk, boulevard Saint-Laurent, au sud d'Ontario, aux abords du Quartier des spectacles, mais dans une zone commerciale néanmoins légèrement glauque. Ce qui n'empêche pas ce restaurant, cela dit, d'être un des plus intéressants en ville.

Et puis, un beau quartier ne garantit en rien la qualité des établissements. Parlez-en à Westmount, qui a enfin une bonne table (le Park, rue Victoria) et une jolie, mais qui pourrait s'améliorer (la Brasserie Centrale), après des années de disette. Et si Outremont a le Leméac, il a aussi le Murphy, refonte ratée de La Moulerie, et le bien nommé Les Enfants terribles. Heureusement que le Mile End n'est jamais loin, avec ses restaurants de plus en plus nombreux, mais souvent bons. On pense aux petits nouveaux de 2012, Sardine, rue Fairmount, et Hôtel Herman, qui n'a rien d'un hôtel et tout d'une table à la mode, avec attitude un peu snob, cuisine intéressante et bons vins.

La question de 2013: quelqu'un ouvrira-t-il enfin quelque chose de réellement intéressant à Notre-Dame-de-Grâce, rue Monkland, rue Sherbrooke Ouest - où on ne s'est pas remis du départ du vrai Tchiang Kiang - ou boulevard Décarie, dans le local vide qui fut jadis celui du Passe-Partout, un des meilleurs restaurants de quartier de Montréal à son époque et une brillante boulangerie? Les paris sont ouverts.

Et souhaitons-nous, en plus des classiques santé, paix et amour, une année 2013 remplie de grandes et petites belles surprises, pour le monde entier et notre vie de quartier.

Pour joindre notre chroniqueuse: mlortie@lapresse.ca