Je suis né à Gaspé. La question de la destination des vacances estivales ne se posait pas pendant mon enfance. Mes parents avaient un petit chalet à Haldimand, à moins de 10 km de la maison familiale, face au barachois. Il suffisait de traverser le chemin de terre et le chemin de fer pour se rendre à la mer.

Je me souviens de petits matins d'été passés à creuser à la main où il y avait des trous dans le sable, à marée basse, pour trouver des « clams ». On rinçait les palourdes à grande eau avant de les faire bouillir dans une casserole d'acier, puis on les mangeait avec du vinaigre. Un délice de mon enfance, comme la morue séchée sur les vigneaux.

Le matin, avant de se rendre à la plage, on déposait des sous noirs sur les rails du CN. Au retour, on les retrouvait aplatis comme des crêpes. On ramait en chaloupe dans la baie en chantant Partons, la mer est belle, on jouait au ballon dans les herbes folles, on rentrait à la brunante au chalet dormir dans les lits superposés. Ce n'était pas le grand confort, mais on avait un toit, des toilettes, un matelas : que demander de mieux ?

Puis un jour, les palourdes sont devenues toxiques, la morue s'est faite plus rare, nous avons vendu le chalet de Haldimand, la maison de la rue Wayman et la vieille Plymouth Valiant, nous avons déménagé à Montréal et j'ai été initié aux plaisirs du camping.

J'ironise en parlant du camping. Ce ne fut jamais pour moi l'idylle fantasmée. La symbiose avec la nature, la communion avec les éléments, le doux réveil au son des criquets, etc. Je n'y ai jamais trouvé mon compte, pour être bien franc. J'ose l'écrire, à 42 ans, même si cela risque de vexer mes parents.

Toutes les vacances de ma préadolescence et de mon adolescence ont eu comme cadre un lopin de terre compacte dans une pinède.

Et pour accessoires, un sac de couchage, du chasse-moustiques et une tente assemblée en un tournemain. Où va cette tige de métal un peu tordue ? Pourquoi les pièces ne s'emboîtent pas ? Les piquets ne tiennent pas en place...

Nous allions le plus souvent à Cape Cod, où les plages de dunes sont magnifiques. Après une journée à la mer à se baigner dans les vagues salées, on faisait un brin de toilette aux douches communes du camping, à l'eau tiède, avant de manger un repas précuisiné - steak à la semelle de botte et sauce brune (c'étaient les années 80) - réchauffé sur le rond du poêle au butane.

Je garde bien sûr - maman, papa - d'excellents souvenirs de ces vacances à la mer. Les sorties familiales au cinéma pour voir des films comme The Goonies ou Gremlins, les parties de soccer improvisées avec mes frères et ma soeur, les guimauves grillées juste à point au-dessus du feu de camp, les heures de lecture à la plage à écouter des « mixtapes » dans mon baladeur.

Je n'oublie pas pour autant toutes ces nuits pluvieuses à dormir les yeux mi-clos sous une tente humide, à l'odeur distincte de guenille mouillée aspergée d'imperméabilisant à tissu, dans un sac de couchage moite cumulant chaque jour davantage de sable, une racine d'arbre massant mes lombaires, me grattant les mollets jusqu'au sang après un festin de mouches noires en écoutant la vibration d'un maringouin au-dessus de ma tête. Et on me demande pourquoi je n'aime pas le camping ?

Les conditions, il faut dire, n'étaient pas toujours aussi idéales. Certaines fins de soirées, des animaux non identifiés rôdaient autour de la tente, nous laissant supputer leur nature. Une marmotte, un hérisson, une mouffette ? La créature qui était passée en coup de vent sous la table de pique-nique à l'heure du souper ? Une nuit, dans notre immense tente familiale, un de mes frères, somnambule, a confondu l'autre - disons - avec une toilette chimique...

Le succès incontestable de nos escapades en Nouvelle-Angleterre a convaincu mes parents, aficionados imperturbables du camping, d'aller planter nos tentes sous le soleil de la Floride. C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés pendant quelques années, à la relâche scolaire, à faire 32 heures de voiture en deux jours pour rejoindre un parc national des Keys, au sud de Miami.

Je me remémore avec nostalgie les journées de farniente sur la plage la plus sauvage de la Floride, les virées sur le Seven Mile Bridge, d'où on ne voit plus la terre ferme, les soirées « all you can eat » à la pizzeria du village voisin. Et même le trajet interminable nous menant progressivement de l'hiver à la mer (un principe d'alternance musicale prévalait dans le Chevrolet Malibu : entre deux disques de Brel et de Bécaud, j'imposais à toute la famille Ride the Lightning de Metallica).

Mais s'il est une chose dont je ne m'ennuie pas le moindrement, c'est de me réveiller courbaturé, manger en balayant les moustiques et dormir dans la moiteur saumâtre d'un terrain de camping. Je vous laisse ce plaisir.