Robert Morin est un être unique, incontournable, dans le cinéma québécois. Un loup solitaire qui observe d'un oeil méfiant les médias et l'industrie, dont il préfère rester à l'écart. Plus cet iconoclaste en fait à sa tête, plus on semble l'apprécier.

Ce n'est donc qu'à demi surpris que l'on a appris la sélection en primeur, au 17e festival Fantasia, de son nouveau film, Les 4 soldats, inspiré d'un roman de l'écrivain français Hubert Mingarelli. Fantasia se spécialise dans le cinéma de genre. Robert Morin est un genre à lui seul, toujours là où on ne l'attend pas, explorant toutes les formes du cinéma. Le mariage n'est pas si étonnant.

Les 4 soldats, présenté en première hier soir au Cinéma Impérial, est l'une des propositions les plus oniriques du cinéma de l'auteur de Requiem pour un beau sans-coeur. À la fois récit d'anticipation et récit initiatique, cette fable, qui prendra l'affiche en salle dans 10 jours, a pour cadre un Québec post-apocalyptique en pleine guerre civile.

Dans un futur rapproché, une majorité de pauvres se rebelle contre une minorité de riches l'ayant marginalisée à l'excès, au point de déclencher les hostilités. On suit dans ses déplacements un bataillon plus ou moins bien organisé, combattant l'armée des riches (que le spectateur entend, mais ne voit jamais). Jeunes miliciens sans grandes ressources, vivotant en attendant les ordres des supérieurs, d'une maison de banlieue abandonnée à un abri de fortune construit à même le tas de ferraille d'une décharge.

En voyant le film, hier, j'ai pensé à Elysium de Neill Blomkamp (District 9), blockbuster futuriste mettant en vedette Matt Damon, qui prend l'affiche vendredi.

Pas que Les 4 soldats s'apparente de près ou de loin à un blockbuster hollywoodien, mais parce qu'Elysium a une prémisse semblable. Des pauvres, entassés dans des bidonvilles comme des animaux, prennent les armes contre les gens de la «haute société» (c'est le cas de le dire), réfugiés dans l'espace sur un satellite de la Terre, considérée en 2054 comme trop surpeuplée, polluée et infestée de maladies pour être habitable par l'élite financière et politique.

Il y a dans ces deux films, aux antipodes l'un de l'autre dans leur essence, cette même idée d'une lutte des classes entre privilégiés et laissés-pour-compte de l'humanité. Sauf que la psychologie des personnages d'Elysium se limite à la grosseur des biceps de Matt Damon et à celle des implants mammaires des habitants de la station du même nom, sorte de Club Med spatial aux allures de grande roue de parc d'attractions (protégée par une redoutable ministre de la Défense interprétée par Jodie Foster).

Elysium, au-delà de ses prouesses techniques, n'a pas d'épaisseur. Les 4 soldats, en revanche, malgré des moyens de production modestes, trouve toute sa pertinence dans la relation entre ses principaux personnages, de jeunes inconnus qui, dans le contexte particulier d'une guerre civile, deviennent plus que des compagnons d'armes, des alliés indéfectibles.

Il y a Dominique (Camille Mongeau), aussi narratrice du film - s'adressant parfois directement à la caméra -, qui a perdu ses parents au début de la guerre. Elle se lie d'abord d'amitié avec Matéo (Christian de la Cortina), mâle alpha et chef de bande. Puis avec Big Max (Antoine Bertrand), sorte d'enfant dans un corps d'adulte à la Lennie de Steinbeck, Kevin le baba-cool (Aliocha Schneider) et le jeune Gabriel (Antoine L'Écuyer).

Ils n'ont que des dés, un iPhone et des mitraillettes pour se distraire, des joints de cannabis comme monnaie d'échange. Mais bientôt, par la force des choses, ils en viennent à se considérer comme frères et soeur.

Les 4 soldats est essentiellement cela: une fable, poignante et atypique, sur l'amitié en temps de guerre. Une oeuvre particulièrement rafraîchissante après tous les films sortis récemment de l'usine hollywoodienne, où l'on détruit la Terre et ses symboles sans plus de réflexion.

Dans son esthétique, le plus récent long métrage du cinéaste de Quiconque meurt, meurt à douleur et du Nèg' rappelle The Road de Cormac McCarthy, tel qu'adapté avec plus ou moins de succès à l'écran par John Hillcoat. On y retrouve cette même ambiance de fin du monde, de délabrement, de déliquescence, d'humanité poussée dans ses derniers retranchements. Avec quelques brèches de lumière et de raisons de sourire.

Le roman dont le film de Robert Morin s'inspire, Quatre soldats d'Hubert Mingarelli (prix Médicis 2003), est campé en Pologne, en 1919, dans l'après-Grande Guerre, au sein d'un bataillon soviétique. On est loin d'une guerre civile québécoise, qui peut sembler bien improbable dans le contexte politico-social actuel. Morin réussit pourtant à donner à son film un ton à ce point réaliste qu'on en a froid dans le dos. La Syrie semble moins loin, tout à coup...