« Un Conseil des ministres qui ressemble au Canada ! », s'exclamait joyeusement le premier ministre Trudeau, en ce jour ensoleillé de l'assermentation.

Hé, pas si vite ! Où sont les Italiens qui ont bâti le pays ? Les Juifs, dont l'apport à la vie publique canadienne est inestimable ? Les Arabes, une communauté en pleine expansion ? Les Noirs, la plus visible de toutes les minorités ? Les Chinois qui ont transformé le visage de Vancouver ?

Par contre, ce Conseil des ministres comprend quatre Sikhs, dont deux religieux... soit deux fois plus de ministres sikhs qu'en Inde, le pays d'origine du sikhisme !

Quatre ministres sikhs, alors que les sikhs forment 1,4 % de la population canadienne, c'est ce qu'on appelle de la surreprésentation !

Mettons les choses au clair : ici, je ne fais que répliquer à l'affirmation naïve de M. Trudeau. Non, son Conseil des ministres n'est pas plus représentatif de la population qu'un autre, sauf en ce qui concerne la parité hommes-femmes... et même cette prétendue parité est en grande partie artificielle, comme je l'expliquais dans ma chronique de samedi.

Je suis à mille lieues de plaider en faveur d'un Conseil des ministres qui serait parfaitement représentatif de la population, à l'instar d'une pizza dont les pointes correspondraient au poids démographique de chaque groupe ethnique. Une grosse pointe pour les Irlandais, une pointe moyenne pour les Haïtiens, une petite pointe pour les Coréens... On voit à quelles absurdités mène la recherche de la représentativité à tout prix.

Cette conception purement quantitative de la politique est une utopie, ne serait-ce que parce que les ministres sont choisis parmi la députation bigarrée qui est issue des hasards de la politique. Ainsi, dans le caucus libéral, il y a 20 députés sikhs, mais seulement deux d'origine chinoise.

Mais surtout, la recherche de la représentativité parfaite, même si elle était faisable, ne serait pas souhaitable.

Les zélotes du multiculturalisme aiment décrire le Canada comme une « mosaïque » : c'est une pure fiction, car dans la réalité, à la deuxième ou à la troisième génération, les immigrants sont assimilés à la société d'accueil comme dans le « melting pot » américain.

Un pays, aussi diversifié soit-il, n'est pas une juxtaposition de « communautés » imperméables les unes aux autres, chacune avec ses coutumes et ses valeurs ancestrales dont il faudrait encourager la pérennité, mais une société de citoyens égaux devant la loi - telle est la règle admirable d'une démocratie moderne.

La formation d'un Conseil des ministres, au Canada, doit obéir à deux impératifs politiques : les régions et les provinces doivent être représentées autant que possible, de même que les deux langues officielles du pays. Là s'arrête l'exigence de la diversité.

Le reste relève du choix personnel du premier ministre, qui aurait intérêt à choisir les individus les plus qualifiés parmi les députés, indépendamment de leurs origines ethniques.

Le premier ministre peut aussi, en formant son conseil, signaler quelles seront ses priorités. Dans ce cas-ci, on a mis l'accent sur le changement climatique (intégré au titre du ministère de l'Environnement), et surtout sur la cause autochtone.

Au tambour cri et au délicieux numéro des petits Inuits a succédé le plat de résistance : la nomination d'une ministre de la Justice autochtone, Jody Wilson-Raboud.

Dommage toutefois que la ministre des Autochtones, Carolyn Bennett, ait participé à la cérémonie en tenant une amulette faite de plumes d'aigles. Ce genre d'évocation n'a pas sa place dans un État neutre. Au moins, on a évité le ridicule auquel s'était prêté l'ancien premier ministre Paul Martin lors de son assermentation : il s'était fait asperger de « fumée » sacrée par un chaman aborigène. Pourquoi pas de l'eau bénite et de l'encens, tant qu'à y être ?