Ce qui vient de se passer en Irlande constitue une extraordinaire révolution. C'est la première fois dans l'histoire que le mariage gai est accepté par un référendum. Partout ailleurs, cette avancée a été le fait de votes parlementaires. Cette fois, c'est un peuple entier qui s'est prononcé, et de manière éclatante : une majorité de 62 % !

Cet événement est d'autant plus extraordinaire que l'Irlande est, avec la Pologne, le pays le plus catholique d'Occident. La très catholique Espagne, en 2005, avait surpris le monde en reconnaissant le mariage gai. Mais cela s'était fait par un vote au Parlement, tout comme d'ailleurs au Portugal cinq ans plus tard... cet autre pays catholique qui venait de rompre avec l'Église, des années avant que le pape François entrouvre (très légèrement) la fenêtre vers l'acceptation de l'homosexualité.

Au Canada, on s'en souvient, la loi légalisant le mariage entre couples de même sexe a été votée en 2005, et c'est sa province la plus catholique qui était à l'avant-garde du mouvement ! Jusque-là, l'idée du mariage gai avait surtout cheminé dans les pays de tradition protestante (encore qu'en 2003, la Belgique catholique avait emboîté le pas à ses voisins néerlandais).

Contrairement à l'Espagne, où la cause du mariage gai a été pilotée par l'ex-gouvernement socialiste (l'opposition conservatrice était contre, mais n'a pas rescindé la loi une fois revenue au pouvoir), en Irlande, les quatre principaux partis politiques et la plupart des leaders d'opinion étaient en faveur du Oui.

Le fruit était mûr : partout où elle a été reconnue, l'idée du mariage entre conjoints de même sexe est passée comme une lettre à la poste. La France fait figure d'exception. Comme on l'a vu en 2013, cette société pourtant déchristianisée depuis longtemps fut la seule à se déchirer profondément autour du mariage gai. Le vote, à l'Assemblée nationale, a été étonnamment serré : 331 contre 225.

Gardons-nous bien d'en déduire que la France serait socialement « arriérée ». C'est un pays où l'on prend les choses au sérieux, un pays où l'on réfléchit avant de transformer des institutions millénaires comme la famille traditionnelle. Un pays où la minorité catholique pratiquante est active et instruite, et où les intellectuels n'ont pas peur d'exprimer leur dissidence. D'où des mois de débats très sérieux non pas tant sur le mariage gai que sur ses conséquences sur la filiation. Mais le droit au mariage a été finalement reconnu, et aucun gouvernement ne reviendra là-dessus.

Quant à l'Irlande, malgré ce vote populaire qui rend enfin justice aux couples de même sexe, ce pays n'apparaîtra pas de sitôt au tableau d'honneur.

Dommage, en effet, que les Irlandais n'accordent pas aux femmes les droits qu'ils viennent de reconnaître à leur minorité homosexuelle.

Tant en Irlande du Nord que dans la République du Sud, la loi protège l'embryon au même titre que la génitrice, et l'avortement est interdit sauf si l'on peut prouver hors de tout doute que la femme serait en danger de mort si la grossesse se poursuivait. Même les cas les plus tragiques qui ont été étalés dans la presse, ces dernières années, n'y ont rien changé.

On a vu des adolescentes violées forcées de mener leur grossesse à terme, on a vu une femme mourir de septicémie après que l'hôpital eût refusé de procéder à un avortement alors que le foetus était mort, on a vu une femme en rémission d'un cancer se faire interdire l'IVG au risque que la grossesse réactive la maladie. Rien n'y a fait. Les Irlandaises doivent encore aller en Angleterre ou au pays de Galles pour obtenir une IVG, à des coûts qui vont de 450 à 2 500 euros...