Le ministre Poëti n'a pas reçu le mémo, mais son gouvernement vient d'enterrer la hache de guerre avec Uber. Une bonne chose.

Il a suffi de quelques jours pour que tout change. Le premier ministre Couillard s'est dit ouvert à l'idée d'encadrer Uber, dimanche. Et dès le lendemain, Uber a répondu qu'il était ouvert à l'idée d'être encadré par le gouvernement Couillard.

Enfin ! On peut passer aux choses sérieuses. Sans attendre qu'un tribunal force Québec à s'asseoir avec le vilain californien, lui retirant du coup tout pouvoir de négociation.

Le gouvernement a désormais le gros bout du bâton. Qu'il s'en serve donc pour encadrer Uber. À sa manière.

C'est ce qu'ont fait plusieurs des 54 États, provinces et villes nord-américains qui ont choisi d'accueillir Uber plutôt que de protéger bêtement le monopole du taxi, sans se poser de questions. Il y a aujourd'hui presque autant de réglementations différentes qu'il y a de villes et d'États différents.

Québec peut ainsi s'inspirer de ce qui s'est fait en Californie, en Illinois, à Washington, à Chicago, à Boston, tout en énonçant ses propres règles, répondant au marché local, aux besoins et aux sensibilités d'ici.

Plutôt que de livrer une guerre ruineuse au service UberX, le gouvernement a l'occasion de créer un « modèle québécois » du covoiturage commercial. Et, ainsi, de mettre en place un environnement concurrentiel juste et équitable pour tous.

Libre ensuite à Uber et à ses semblables de s'y plier... ou de plier bagage.

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Uber se dit donc prêt à payer une taxe de 0,10 $ par déplacement...

Dix cents. C'est ridicule ! Ça ne représente même pas 1 % d'une course moyenne à Montréal ! Des peanuts, donc.

Mais l'important, ici, n'est pas le montant suggéré par Uber. L'important, c'est qu'Uber ait accepté l'idée d'être taxé pour chaque déplacement réalisé, avant même que débutent les négociations.

C'est ce qu'on appelle en chinois une « fenêtre d'opportunité ». Fenêtre qui permet au gouvernement d'avancer une contre-proposition basée sur ses propres calculs (même avec une taxe de 1 $, Uber demeurerait moins cher que le taxi). Fenêtre qui lui permet, aussi, d'envisager un mécanisme qui profiterait à ceux qui pâtissent de l'arrivée d'UberX.

Une idée comme ça : pourquoi pas un fonds d'indemnisation ?

Pourquoi pas un dédommagement des propriétaires de licences de taxis qui, de bonne foi, ont payé jusqu'à 225 000 $ pour embarquer des clients ? Pourquoi pas une péréquation qui servirait à réduire les inégalités de traitement (réglementaire) entre Uber et taxis ?

Après tout, le patron d'Uber a dit, lundi en entrevue à La Presse, que son concurrent n'était pas le taxi, mais l'auto solo. Il a ajouté que les chauffeurs qui travaillaient pour son entreprise voulaient la même chose que les chauffeurs de Diamond et autres : que le citadin se départe de sa deuxième auto, voire de sa première.

Tous ces chauffeurs font donc partie de la même équipe, si je comprends bien... même si un des joueurs refuse les règles du jeu. 

Si l'État joue son rôle en ajustant ces règles, pourquoi lui ne jouerait-il pas le sien en atténuant le choc financier qu'il provoque ?

Tout le problème d'Uber est là. Dans la remise en question d'un système de quotas et de permis échangeables qui a - peut-être - fait son temps.

Plein d'autres questions se posent si on légalise Uber, c'est sûr. Plein de règlements devront être envisagés, car on parle bien d'une libéralisation du marché, pas d'une déréglementation.

Veut-on, par exemple, qu'Uber récolte la TPS et la TVQ à la source ? Veut-on faire payer une plaque commerciale aux chauffeurs d'Uber ? Veut-on les obliger à contracter une assurance commerciale ? Veut-on imposer une transparence fiscale accrue à cet acteur étranger et à ses éventuels concurrents ? Veut-on (et peut-on) forcer ces derniers à payer leurs impôts ici plutôt que dans un obscur paradis fiscal ?

Toutes ces questions devront être analysées. Mais la plus importante nous ramène au mécanisme de permis de taxi. Un mécanisme qui a montré ses faiblesses, qui a installé un service de faible qualité, qui a fait des permis des objets de spéculation. Mais un mécanisme, malgré tout, qu'on ne peut éliminer en criant taxi.

D'où l'idée du fonds d'indemnisation qui pourrait amoindrir le séisme, à court terme, si l'effet catastrophique d'Uber est prouvé. Un fonds qui pourrait même permettre de racheter les permis, à long terme, des mains de ceux qui se sont endettés pour les acquérir à fort prix.

Est-ce réaliste ? Certains experts me disent que oui. Qu'un tel fonds d'indemnisation est même souhaitable, étant donné la responsabilité collective que nous avons à l'endroit des propriétaires de permis. Ces derniers ont pris un risque en achetant leur licence, c'est vrai, mais ils l'ont fait pour se conformer à un environnement réglementaire qui leur a été imposé.

Il vaut donc la peine d'étudier la question de l'indemnisation. Mais il vaut la peine, surtout, que Québec encadre le covoiturage commercial à sa façon, avant d'être forcé de le faire.