J'ose ce titre, mais il peut difficilement être moins bien choisi.

«Sur la route»...

Franchement.

Vous le lisez, et vous pensez Kerouac. Années 50. Voyage initiatique. Liberté. Drogue douce.

Et moi qui veux vous parler années 80. Voyage hystérique. Captivité. Chips sel et vinaigre...

Je vous le dis tout de suite, les voyages de mon enfance n'avaient rien à voir avec le road trip aventureux. Il n'y avait pas d'inconnu, pas de quête spirituelle, pas même de véritable découverte.

Il y avait plutôt deux enfants à boutte, enfermés trop longtemps dans une voiture trop chaude. Criant. Hurlant. Se chamaillant. Deux enfants de moins de 10 ans incapables de s'habituer à ces vacances qui les trimbalaient de motel en motel.

Le lien avec Kerouac, il se limite donc à la route. Dans le sens le plus long et monotone de la chose. Mais pas d'odyssée existentielle d'est en ouest dans mon cas. Simplement une traversée. Interminable. Du nord au sud. De Plattsburgh à Fort Lauderdale.

***

Il y a eu Wildwood. Il y a eu Niagara Falls. Cape Cod aussi. Mais il y a surtout eu la Floride, en plein été. En char.

Et pas n'importe quel char. La machine. Pas aussi imposante que la grosse Hudson 1949 de Kerouac, mais quand même. Une imposante Oldsmobile Delta, couleur caca d'oie s'il vous plaît.

Le gros kit. Pour une grosse virée de quatre jours qu'on faisait avec rien de plus que des sacs de chips qui nous laissaient les coins de bouche blancs de sel. Pas de jeux vidéo. Pas d'iPod. Pas de DVD. Parce que personne n'avait pensé intégrer un gros lecteur VHS dans les autos à l'époque, allez comprendre...

Pas de films pour passer le temps, donc, pas même de radio ou de musique. Juste des cris en attendant le prochain arrêt qui ne venait jamais assez vite.

«On arrive-tu?!?»

***

Le choix de la Floride s'imposait de lui-même. Le choix de s'y rendre lentement en auto aussi, en s'arrêtant dans chacun des motels qui offraient des lits qui vibrent, pour rigoler, et une piscine, pour s'occuper.

Je vous explique: mon beau-père tripait sur les voitures et le bronzage, ma mère sur le Paris Match et le clan Kennedy.

C'était donc le plan parfait. Un long trajet en auto. De fréquents arrêts pour se faire bronzer. Des chaises longues pour dévorer le Paris Match, les mémoires de Jackie, et les bios de Romy Schneider.

Et surtout, des heures à ne pas surveiller les enfants qui s'amusent dans la piscine. Car à cette époque, les parents ne jouaient pas à quatre pattes avec les enfants. Ils les laissaient vivre leur enfance.

La piscine était donc la gardienne. En même temps que la dose de Ritalin. Elle nous maintenait captifs, nous calmait, pendant que mon beau-père s'enduisait d'huile qui sentait la «coconut», et que ma mère se perdait dans ses grands destins tragiques. Sur le bord de la piscine d'un motel ordinaire.

***

Puis on repartait le lendemain. On déjeunait chez McDo. On roulait, roulait et roulait encore. Les fenêtres ouvertes pour dissiper la fumée de cigarette. S'arrêtant en chemin quand on apercevait le toit orange d'un Howard Johnson... ou que la chicane dégénérait entre ma soeur et moi.

C'est qu'il y avait entre nous un différend de taille, voyez-vous. Une tension majeure. Un cas de géopolitique de l'habitacle. Où tracer la frontière sur la banquette arrière? Où se situait la ligne à ne pas franchir sous peine de hurlements? Au milieu, comme le prétendait ma soeur? Ou un peu plus loin sur son territoire, comme je l'affirmais de manière péremptoire?

Après tout, j'étais plus grand. J'avais donc droit à plus grand.

Un aîné s'essaye...

Puis une fois que les cris cessaient, au grand plaisir des parents, ils... reprenaient de plus belle. Mais sans animosité cette fois. Des cris ludiques, de plaisir. En faisant le tour de l'alphabet à voix haute lorsqu'on apercevait les lettres sur les plaques d'immatriculation. Ou en nommant tous les panneaux tout haut. Tous. Les. Panneaux. Pendant des heures. Car à l'époque, un même jeu pouvait durer très longtemps...

Pas de grande aventure sur la route, donc. Seulement de l'asphalte. Des motels. Des piscines. Et des kilomètres de souvenirs.