Retenez bien ce nom: Yarmouk. Il pourrait devenir aussi emblématique que celui de Srebrenica, à une autre époque et dans une tout autre guerre - celle qui a déchiré l'ex-Yougoslavie au début des années 90.

Ce nom pourrait aussi s'imprimer dans la mémoire comme ceux de Sabra et Chatila, les deux camps palestiniens de Beyrouth dont les habitants ont été massacrés par des milices chrétiennes, en septembre 1982.

Yarmouk, donc, c'est ce camp de réfugiés palestiniens, situé en banlieue de Damas, qui est assiégé depuis deux ans par l'armée de Bachar al-Assad. Des 150 000 habitants qui y vivaient avant la guerre, il n'en reste plus que 18 000, les plus pauvres, ceux qui n'avaient pas les moyens de fuir.

Victimes d'un blocus militaire, ils manquent de tout: eau potable, électricité, médicaments. L'Observatoire syrien des droits de l'homme, qui documente la guerre syrienne, estime qu'au moins 200 personnes sont mortes à Yarmouk uniquement en raison de ce siège. C'est sans compter ceux qui ont été tués par les bombes larguées sans ménagement par le régime.

Comme si ce n'était pas assez, les habitants de Yarmouk doivent maintenant composer avec une nouvelle calamité: l'arrivée du groupe État islamique (EI), qui a pris contrôle de 80% de son territoire depuis le début de la semaine, selon les témoignages qui filtrent au compte-gouttes.

Les civils de Yarmouk sont donc maintenant pris en étau entre l'EI et l'armée de Damas qui poursuit ses bombardements et s'apprête à lancer une contre-offensive. Comme en fait foi une photo célèbre captée dans une rue de Yarmouk, il y a un an, le quartier n'est déjà plus qu'un champ de ruines où errent des affamés. Maintenant, il se retrouve au coeur d'un combat entre deux forces sans merci.

Pour les derniers civils de Yarmouk, la situation est «au-delà de l'inhumanité», dit Christopher Gunness, porte-parole de l'UNRWA, l'agence humanitaire de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, que j'ai joint à Jérusalem hier.

Quelque 3500 enfants sont coincés dans le piège de Yarmouk, souligne-t-il. «À Yarmouk, il y a des femmes qui meurent en accouchant, des enfants qui succombent à la malnutrition, ça fait des semaines que nous n'avons pu avoir accès au camp, les habitants de Yarmouk ne reçoivent plus d'eau, ni de médicaments.»

Le corridor humanitaire vers Yarmouk était déjà très limité. L'UNRWA estimait ses besoins alimentaires à 400 rations quotidiennes, elle n'est parvenue qu'à en livrer 90, en moyenne, pendant 131 jours, l'an dernier.

Avec l'arrivée des djihadistes de l'EI, Christopher Gunness craint un «massacre d'innocents». Les témoignages recueillis ces derniers jours à Yarmouk confirment ses appréhensions.

«Le camp est une ville fantôme, les civils ont peur d'aller dans les rues, ils se terrent dans les quartiers voisins, de plus en plus assiégés eux aussi», a raconté un militant anti-Assad de Yarmouk, joint par la BBC.

Le camp est le théâtre de combats de rue entre l'EI et des factions palestiniennes proches du mouvement Hamas, qui contrôlaient Yarmouk jusqu'à maintenant.

Les activistes locaux, opposés à la fois au régime et à l'EI, sont tout particulièrement visés. «Depuis le début de l'offensive de l'EI, nous n'avons pas pu mettre un pied dehors. Nous savons qu'ils nous recherchent. Ils font des patrouilles dans les rues, ils surveillent et contrôlent les gens. [...] Ils passent au peigne fin chaque immeuble. Ils fouillent les appartements. Ils arrêtent les gens», a confié un autre militant à la chaîne France 24.

L'homme s'est dit convaincu de figurer lui-même sur la liste noire des personnes ciblées par les djihadistes de l'EI et ceux du front al-Nosra, formations rivales qui se sont étrangement alliées dans leur bataille pour Yarmouk.

De son côté, l'Agence France-Presse a recueilli des récits de rescapés à glacer le sang. Des histoires d'horreur qui portent la signature de l'EI, avec des scènes de décapitations, de têtes transformées en ballons de soccer...

Situé à une dizaine de kilomètres du coeur de la capitale syrienne, Yarmouk constituerait une prise stratégique importante pour l'EI. La bataille avec l'armée d'Assad s'annonce sanglante. Pour les civils, le pire est à venir.

Voilà pourquoi l'ONU réclame l'instauration immédiate d'un corridor humanitaire pour les civils de Yarmouk. «Nous exhortons tous ceux qui peuvent exercer de l'influence sur les parties en cause à exercer cette influence, de toutes les manières possibles: politique, financière, même religieuse», plaide Christopher Gunness.

À défaut de quoi, il appréhende un désastre.