Six ans après la mort de Jocelyn Quivrin, Léa Fazer propose une comédie dramatique inspirée d'une incursion marquante que son acteur fétiche avait faite dans le cinéma d'auteur, auprès d'un maître.

Il est impossible de parler de Maestro sans évoquer le souvenir de deux personnes aujourd'hui disparues: Jocelyn Quivrin et Éric Rohmer. Le premier, mort à 30 ans dans un tragique accident de voiture en 2009, était non seulement l'acteur fétiche de Léa Fazer (Notre univers impitoyable), mais aussi pour elle un ami très proche. La réalisatrice est d'ailleurs la marraine de l'enfant né de l'union de l'acteur avec la comédienne Alice Taglioni.

Le deuxième était un maître du cinéma d'auteur dont le tout dernier film, Les amours d'Astrée et de Céladon, mettait notamment en vedette Jocelyn Quivrin. Pour le jeune acteur, l'expérience fut si marquante, tant sur le plan artistique qu'humain, qu'il a décidé de s'en inspirer pour l'écriture d'un scénario. Pour lequel il a bien entendu sollicité l'aide de son amie Léa.

«Évidemment, tout s'est arrêté avec la mort de Jocelyn, raconte Léa Fazer au cours d'un entretien téléphonique. J'ai quand même terminé seule l'écriture afin que le fils de Jocelyn, qui était âgé de 9 mois au moment de la mort de son père, puisse éventuellement le lire. J'ai présenté ce scénario à Alice. Des producteurs l'ont aussi lu.»

Une réaction instinctive



Pour ces producteurs, le premier réflexe fut de demander à la cinéaste si elle comptait en faire un film. La réponse fut très claire: non.

«La mort de Jocelyn était encore trop récente, je ne m'en sentais pas capable, explique-t-elle. Ils sont revenus à la charge quelques années plus tard en me disant qu'ils avaient l'intention d'en faire un film, avec ou sans moi à la réalisation. J'ai alors eu une réaction instinctive de protection, de possession. Il a toutefois fallu réécrire beaucoup parce qu'à cause des circonstances, Maestro ne pouvait plus être une franche comédie. Même s'il reste des traces de la première version, il y a maintenant une progression plus dramatique.»

Maestro relate ainsi le parcours d'un jeune acteur (Pio Marmaï) pour qui le plus grand rêve serait de tourner dans une superproduction hollywoodienne. Voilà pourtant qu'il est embauché pour tenir un rôle dans le film du maître Cédric Rovère (Michael Lonsdale). Ce dernier, véritable monstre sacré du cinéma d'auteur français, porte à l'écran un roman pastoral du XIIe siècle. Le tournage a lieu à la campagne, dans des conditions rudimentaires. Sur place, l'acteur ne peut faire autrement que de trouver l'entreprise un peu ridicule, mais contre toute attente, l'expérience se révélera marquante.

«Le film aurait été raté si les spectateurs sortaient de la salle avec l'impression d'une moquerie, précise Léa Fazer. Il n'en est rien, au contraire. L'enjeu tourne plutôt autour de la façon d'approcher cette culture plus difficile d'accès. Ce n'est pas forcément donné. Autant Jocelyn que moi venons d'un passé culturel plutôt incertain. Et nous ressentions très fort ce manque.»

La réalisatrice impute cette «incertitude» à une époque où, après Mai 1968, parents et éducateurs ont cru bon faire table rase de tous les modèles existants.

«Il ne s'agit pas d'être réactionnaire - cette révolution culturelle a apporté beaucoup de bonnes choses -, mais le fait est qu'il nous manquait quelque chose. Dans l'esprit des soixante-huitards, l'éducation était devenue quelque chose de ringard. Il fallait désormais tout inventer. Comme si le passé n'existait plus. Sur ce plan, les rencontres qu'a faites Jocelyn avec Rohmer - et aussi avec l'homme de théâtre Roger Planchon - ont été marquantes, d'autant qu'ils étaient de leur côté aussi intéressés à transmettre leur art à des plus jeunes. Il y a dans ce film une grande nostalgie de l'idée du maître.»

Pas un biopic



La réalisatrice tenait toutefois à ce que le film ait sa propre identité. Bien qu'évocateurs, les personnages restent des créations. Maestro n'a ainsi rien du drame biographique qui tente de reconstituer les faits avec exactitude.

«Je ne pourrais pas me le permettre, étant donné que je n'étais pas sur place, insiste Léa Fazer. Ma seule vision de cette expérience est celle que m'en avait donnée Jocelyn. Personnellement, je n'ai jamais tourné avec Rohmer. Le film est aussi très marqué par la personnalité des deux comédiens, Michael Lonsdale et Pio Marmaï. Une vraie rencontre a d'ailleurs eu lieu entre les deux. Avec eux, je n'ai pratiquement jamais parlé de Jocelyn, ni d'Éric Rohmer. Je tenais à ce qu'ils fassent de vraies compositions.»

L'épouse d'Éric Rohmer a vu le film. Les proches de Jocelyn Quivrin aussi. Pour la cinéaste, leur réaction fut rassurante.

«Même s'il y a une grande part de fiction, ils avaient le sentiment de retrouver un peu quelque chose d'un être qui leur était cher, ajoute Léa Fazer. De mon côté, il m'est difficile de quitter un film qui m'est si personnel. Dans mon esprit, il y a assurément un «avant» et un «après» Maestro