Sacré meilleur premier film lors du plus récent Festival de Cannes, La tierra y la sombra du Colombien César Acevedo parle de la famille et du territoire, deux entités en voie d'extinction, dans un style épuré.

Une famille implose dans un paysage lui aussi en décomposition. Caméra d'or à Cannes, La tierra y la sombra (La terre et l'ombre en version française), de César Acevedo, décrit le vide qui se crée dans une famille et un coin de pays de plus en plus oppressés. Un long métrage plus près du néoréalisme italien que du mode narratif hollywoodien.

«Le film est basé sur mes souvenirs d'enfance, explique le réalisateur lors d'une entrevue téléphonique. Je me suis inspiré d'une observation attentive des gens et de la réalité. Je ne fais pas référence au néoréalisme, bien que cela m'ait inspiré.»

César Acevedo vient de la région où le film se passe, le département de Cauca où l'on cultive, entre autres, la canne à sucre. Une région appauvrie par le saccage de la terre, où l'équipe a dû construire une maison en plein champ de canne à sucre.

Contrainte supplémentaire, le cinéaste a dû se rabattre sur des acteurs non professionnels. Seuls les deux rôles féminins principaux sont tenus par des actrices d'expérience, mais le film n'en souffre point.

«Avec les acteurs de téléromans, ça ne fonctionnait pas. J'ai donc rencontré des habitants de la campagne pour trouver le ton et les gestes. La réalité se trouve dans le corps, dans la peau des gens.»

Des gens taciturnes, réservés, qui expriment peu leurs émotions dans cette famille qui se brise en raison de la maladie de l'un des siens. Le film vibre au rythme du non-dit. Et c'est ainsi que le réalisateur a installé de nombreuses métaphores visuelles et un climat d'enfermement.

«Le cinéma, c'est des images et des sons, pas nécessairement des dialogues. C'est une combinaison qui nous permet d'atteindre le coeur des gens.»

La vérité qu'il cherche se traduit ici par des figures de style, des allégories, dans la pénombre envahissante, les cendres de canne à sucre et le ciel bas pour «recréer cet étouffement émotif».

Hollywood

De longs plans larges, peu nombreux, un rythme lent, mais non passif, nous éloignent passablement d'une certaine esthétique télévisuelle, voire hollywoodienne.

«Je résiste au modèle hollywoodien. Je pense sincèrement que le fait d'éviter d'être submergé d'images rapides où l'on ne sent plus rien nous aide à rester plus humains. Dans le film, je crois que le spectateur peut découvrir la profondeur de ce monde et s'y identifier.»

Il n'y a pas de trame musicale dans le long métrage non plus. Rien qu'une histoire forte et triste, puisque y «ajouter de la musique pourrait nous faire verser dans le mélodrame, et ce serait de la manipulation».

Ce sujet du travail éreintant des ouvriers de la canne à sucre et de la déroute des familles hantait César Acevedo depuis l'université. Au départ, il a songé à faire un film sur la mort sa mère, mais il s'est aperçu que ce n'était pas une bonne idée.

«C'était trop dur. J'ai compris qu'il fallait que je prenne mes distances, que je pouvais parler des gens qui aiment la terre et que ce serait aussi bien, aussi crédible.»

Violence

Le cinéaste voyage beaucoup avec ce premier long métrage en ce moment: France, Pays-Bas, Brésil. Il a toutefois commencé à réfléchir à un autre sujet, soit la violence qui secoue depuis des décennies son pays, toujours aux prises avec le trafic de la drogue.

«Ce sera plus poétique encore. C'est une histoire de fantômes. Je me placerai du côté des morts qui ont subi cette violence. Je m'interrogerai sur le silence de Dieu.»