La rumeur circulait depuis quelque temps, mais la nouvelle est finalement tombée hier comme une bombe: le Cinéma Parallèle, qui présente à l'Excentris une programmation de films d'auteur, cesse ses opérations «provisoirement».

Selon la directrice générale de l'organisme, Hélène Blanchet, les géants de la distribution de films sont en bonne partie responsables de cette fermeture. État d'une situation «catastrophique», soutiennent les cinéphiles.

Un manque à gagner de 200 000 $

Quatre films porteurs qui génèrent 200 000 $ au box-office: voilà ce qui manquait au Cinéma Parallèle, l'organisme qui possède et gère le complexe Excentris, à Montréal, pour être solvable.

Hier matin, après des semaines d'incertitude, la rumeur voulant que l'Excentris soit au bord du précipice s'est confirmée. Le conseil d'administration a ordonné l'arrêt «provisoire» des activités en salles, a déposé «un avis d'intention de faire une proposition à ses créanciers», puis a licencié sa trentaine d'employés.

«On n'avait plus le choix, on avait plus de créances que de liquidités. Je l'ai répété plusieurs fois ces dernières années : Excentris a un problème d'accès aux films», a expliqué Hélène Blanchet, directrice générale de l'organisme voué en bonne partie à la diffusion de films d'auteur québécois.

«Depuis le rachat et la réouverture du lieu il y a quatre ans, l'Excentris s'est battu sans relâche pour le maintien de son mandat de diffusion dans un contexte d'industrie en mutation.»

«[Notre] santé financière est directement proportionnelle à notre capacité à s'approvisionner auprès des distributeurs en films d'auteur à plus large portée. Et c'est là que le bât a blessé», a renchéri le conseil d'administration.

Un budget complexe et déficitaire

L'institution du boulevard Saint-Laurent a été fondée à la fin des années 90 par le mécène Daniel Langlois. En 2011, ce dernier voulant quitter ce secteur d'activités, le Cinéma Parallèle a racheté les trois salles grâce à un prêt de 4 millions de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC). L'organisme autofinançait depuis ses opérations à près de 90 %, diffusant en moyenne 150 titres annuellement.

«80 % de notre programmation est composée de titres de niche, lesquels rapportent 20 % du box-office, et 20 % de notre programmation est composée de titres indépendants à plus large portée auprès du public, avec 80 % des revenus de billetterie», a expliqué le conseil d'administration.

«Mais les films d'auteur à plus grande portée, on les avait parfois trois semaines après leur sortie dans d'autres salles. Pour le temps des Fêtes, cette année, on n'arrivait pas à remplir notre programmation», a confié Hélène Blanchet à La Presse, qualifiant cette pratique de «sortie en paliers».

Selon elle, les diffuseurs et les propriétaires de grands complexes cinématographiques - soit Les Films Séville et Cineplex, principalement, à Montréal - sont en partie responsables de cette dynamique de marché, qui a privé l'Excentris cette année d'environ 200 000 $ de recettes.

«Je ne suis pas dans la théorie du complot, ce sont des pratiques commerciales, je le sais, mais disons que ces grands joueurs ne regardent pas l'écosystème dans son ensemble. Nous savons aussi que le cinéma Quartier latin met beaucoup de pression pour obtenir la diffusion exclusive de films sur une période allant jusqu'à quelques semaines», a affirmé Mme Blanchet.

Or, cette stratégie n'est pas nouvelle dans l'industrie, a répondu sans appel Patrick Roy, président d'Entertainment One Films Canada et des Films Séville.

«Les écrans sont très difficiles à obtenir. Les obtenir, c'est une chose, mais il faut ensuite les garder, ce qui est encore plus difficile.»

«Ce qui est important, quand on fait des sorties de films limitées à un nombre restreint de salles, c'est que les cinémas nous livrent des recettes très élevées. [...] Ces recettes au box-office nous permettent ensuite, dans les semaines qui suivent, d'ajouter des copies sur le marché», a ajouté M. Roy, précisant qu'il était quand même préoccupé par la fermeture de l'Excentris, car son industrie a besoin «du plus grand nombre de cinémas pour présenter les films».

Pat Marshall, vice-présidente aux communications pour Cineplex Entertainment, propriétaire du cinéma Quartier latin, rejette pour sa part toute responsabilité.

«Cineplex, tout comme d'autres salles comme l'Excentris, travaille directement avec les distributeurs de films pour obtenir les droits de diffusion. Il en revient aux distributeurs de choisir où ils diffusent leurs films, pas aux propriétaires de salles», a-t-elle indiqué par courriel, précisant que le cinéma Quartier latin avait également été frappé cette dernière année par une diminution «significative» de ses revenus au box-office.

Quel avenir pour l'Excentris?

Au cours des 30 prochains jours, le Cinéma Parallèle présentera une proposition à ses créanciers, dont les deux principaux sont la SODEC - qui a prêté 4 millions en 2011 pour que l'organisme achète les salles - ainsi que la Caisse d'économie solidaire Desjardins.

«On veut maintenir la mission du Cinéma Parallèle, en activité depuis 48 ans. On veut développer un projet de relance, possiblement dans un autre lieu, mais ça passe d'abord par nos créanciers. [...] La SODEC n'est pas perdante dans cette histoire, elle va devenir propriétaire du bâtiment. Ça deviendra leur actif», a expliqué la directrice générale Hélène Blanchet.

En entrevue avec La Presse, la présidente et chef de la direction de la SODEC, Monique Simard, s'est dite «extrêmement prudente» dans ce dossier. Elle attend de recevoir les propositions du Cinéma Parallèle avant d'élaborer des scénarios.

«Il est trop tôt pour se prononcer ou pour dire si une mission cinématographique sera maintenue [au complexe Excentris].»

Au ministère de la Culture, qui a accordé cette année un financement additionnel au Cinéma Parallèle pour qu'il boucle son budget d'exploitation, on dit surveiller la situation de près. Hélène Blanchet en est d'ailleurs reconnaissante.

«On m'a demandé comment ils pouvaient nous aider davantage, mais j'ai répondu qu'en nous soutenant au-delà de ce qu'ils font déjà, c'était comme subventionner des pratiques commerciales qui ont des effets pervers. C'est simple, ça nous prend des films! On est un boulanger qui n'a pas de pain», s'est-elle exclamée.

«Je vais demander à rencontrer le Conseil national du cinéma et de la production télévisuelle, un organisme consultatif de la SODEC, pour qu'on entreprenne une réflexion sur l'exploitation des salles, a pour sa part indiqué la ministre Hélène David à La Presse. [...] Le marché a évolué, mais on veut protéger la diffusion de films québécois.»