Malgré des vents contraires et un manque d'argent chronique, Serge Losique va de l'avant dès demain avec la 39e édition du FFM, convaincu que cette fiction qu'il tient à bout de bras depuis près de quatre décennies sera éternelle, sinon aussi immortelle que Dany Laferrière, président du jury cette année.

Serge Losique adore raconter l'histoire de Gen Takahashi, ce cinéaste japonais qui a oublié de remplir la fiche d'inscription du FFM. Quand il a découvert que son film (Yoko Zakura) n'était pas de la section Regards sur les cinémas du monde, il n'a fait ni une ni deux: il a pris le premier vol Tokyo-Montréal.

Lundi dernier, à la première heure, il s'est pointé aux bureaux du FFM, rue De Bleury, pour supplier la direction d'inclure son film dans la programmation. Dans sa poche, il avait un argument de taille: une lettre du ministre des Affaires étrangères du Japon qui recommandait chaleureusement son film.

Lorsque l'équipe de Serge Losique a accepté de lui pardonner son retard et d'inclure son film, Gen Takahashi s'est mis à genoux en pleurant de gratitude.

«Tu vois, ça, c'est la preuve que notre festival compte et que les cinéastes du monde entier veulent y participer», s'est écrié Serge Losique, depuis son fauteuil pivotant au milieu de la salle de projection privée au quatrième étage du cinéma Impérial.

Notre rencontre a eu lieu lundi, à trois jours du début de la 39e édition du FFM, et Serge Losique semblait dangereusement en forme.

En forme et pas le moindrement contrarié par les dettes de quelques millions que son festival a accumulées depuis que la SODEC, Téléfilm Canada et la Ville de Montréal ont décidé de suspendre leur financement l'an passé, et ne sont pas revenus sur leur décision cette année. Mais Serge Losique n'en fait pas un plat et refuse catégoriquement d'aborder le sujet.

«Je ne veux pas parler d'argent ni de chiffres. De toute façon, le public ne veut pas voir des chiffres à l'écran. Il veut voir des films.»

Pour ce qui est des films, aucun problème: le FFM en a des tonnes. En tout, 2200 films - un record - ont été soumis au comité de sélection cette année.

Or, selon Losique, la qualité des films était telle que son comité a eu toutes les misères du monde à en éliminer. Résultat: la compétition compte pas moins de 25 films. C'est énorme!

Habituellement, à Cannes ou à Berlin, les films de la compétition ne dépassent pas la vingtaine. À Montréal, cette année, avec un programme aussi imposant, le jury présidé par l'immortel Dany Laferrière va devoir pédaler et se farcir trois films par jour.

Mais quand je m'inquiète de l'éventuel épuisement du jury (et du mien par la même occasion), Serge Losique est sans pitié: «Le jury est là pour voir des films. C'est sa tâche. Quand on pense aux ouvriers qui se tuent à l'ouvrage dans des conditions parfois pénibles, six heures de cinéma par jour pendant dix jours, c'est rien!»

La Chine et l'Iran à l'honneur

Comme par le passé, les films du FFM proviendront d'environ 80 pays. La Chine, pays ami du FFM, a une section a elle toute seule: Cinéma chinois d'aujourd'hui.

Or, dans le programme du festival, on remarque une pub de Gold Financial Group, une importante société d'investissement chinoise, qui apparaît sur la liste des commanditaires. On en déduit que cette entreprise a peut-être aidé financièrement le FFM. Plus en tout cas que le premier ministre Harper ou que la ministre Glover de Patrimoine Canada. Les deux se fendent d'un mot de bienvenue dans les premières pages du programme, même si ni l'un ni l'autre n'a accordé le moindre sou au festival.

Autre pays à l'honneur cette année au FFM: l'Iran qui présente neuf longs métrages, dont l'épique film d'ouverture Muhammad de Majid Majidi, un cinéaste qui a déjà remporté le Grand Prix des Amériques du FFM.

Serge Losique est particulièrement fier de ce coup fumant. Fier de présenter la première mondiale d'un film qui porte sur l'enfance du prophète Mahomet et qui a été financé à coups de dizaines de millions de dollars avec la bénédiction de l'ayatollah Khamenei qui est même venu faire un tour sur le plateau.

Or, c'est le gouvernement iranien qui a confisqué le passeport de son plus grand cinéaste - Jafar Panahi - et qui lui a interdit de faire des films pendant 20 ans. En 2010, Serge Losique, au nom du FFM, s'était joint au concert de protestations contre le sort réservé à Panahi par les autorités iraniennes.

« Je ne fais pas de politique »

Cinq ans plus tard, voilà qu'il déroule le tapis rouge à un film cautionné par ces mêmes autorités. Mais Serge Losique n'y voit pas de contradiction: «Moi, je ne fais pas de politique, plaide-t-il. Si ce film est présenté à Montréal en primeur, c'est à cause des liens que j'ai tissés avec le réalisateur, pas avec le régime. De toute façon, il ne s'agit absolument pas d'un film de propagande. C'est un film tout court qui n'est pas dirigé contre les autres religions.»

Le film a beau ne pas verser dans la propagande, il n'en demeure pas moins que dès les premières heures de sa gestation, il a attisé la controverse.

En Iran, le milieu du cinéma était et demeure divisé, notamment parce que le budget du film a privé des dizaines de cinéastes de financement pour leurs propres films. Sur le plan idéologique, les protestations sont venues des sunnites du Qatar qui ont décidé de donner leur propre version du prophète Mahomet avec un projet de sept films qui totaliseront un milliard.

Or, quelques membres de l'équipe du Qatar débarqueront demain au FFM pour assister à la première du film et comparer leur prophète à celui des Iraniens.

Loin d'inquiéter Serge Losique, cette réunion de deux bandes rivales dans un même cinéma le soir de l'ouverture du FFM le fait rire. Espérons qu'il a raison et que le coup d'envoi de cette 39e édition pourra éviter les querelles idéologiques, les chicanes de clocher et, surtout, les guerres de religion.