Dans le nouveau film du réalisateur des Femmes du 6e étage et de Molière à bicyclette, Jean Rochefort incarne un octogénaire un peu délinquant, dont la mémoire commence à défaillir.

Il y a d'abord eu une pièce à succès de Florian Zeller. Quand le cinéaste Philippe Le Guay est allé voir Le père, il n'aurait pourtant jamais pensé en réaliser l'adaptation cinématographique un jour.

«Il n'y avait pas d'approche évidente pour en faire un film, a-t-il indiqué lors de son passage au festival Cinemania de Montréal. Il s'agissait d'un face-à-face entre deux personnes, dans un lieu unique. Les possibilités de mouvements me semblaient assez limitées. Le déclic s'est fait le jour où j'ai imaginé le personnage dans un avion, en partance pour quelque part. L'impulsion dramatique était alors trouvée pour dynamiser le récit.»

Ce personnage s'appelle Claude. Dans Floride, il emprunte les traits de Jean Rochefort. Malgré ses pertes de mémoire, l'octogénaire habite toujours dans sa maison, mais les aides-domestiques, excédées, se succèdent à un rythme effarant. Sa fille (Sandrine Kiberlain), qui dirige désormais la papeterie qu'a jadis fondée Claude, doit ainsi faire des prouesses pour essayer de dénicher des personnes dotées d'une patience angélique, prêtes à s'occuper de lui.

Sur un coup de tête, le vieil homme décide de s'acheter un billet d'avion et d'aller rendre visite à son autre fille, qui habite en Floride depuis de nombreuses années. Philippe Le Guay a ainsi dû moduler à l'écriture un scénario construit autour d'un sujet difficile - la démence -, tout en misant aussi sur un humour parfois grinçant.

«Cette causticité nous protège du mélodrame, précise le cinéaste. Cela dit, il fallait de l'émotion dans ce film. Sinon, à quoi bon? L'humour n'est pas l'ennemi de l'émotion, au contraire. Il l'enrichit plutôt. Nos défenses tombent et, du coup, on est encore plus vulnérable quand elle surgit.»

Un homme inspirant

À cet égard, la personnalité de Jean Rochefort s'est révélée très inspirante. Le cinéaste, qui a écrit le scénario de son film en compagnie de Jérôme Tonnerre (Elle s'en va), évoque en outre la noblesse naturelle de l'acteur, mais aussi son côté enfantin. Le personnage peut ainsi être espiègle et parfois cruel à la fois, sans ne jamais perdre l'allégeance du spectateur.

«Il a quand même fallu convaincre Jean, fait remarquer Philippe Le Guay. Ce n'est pas tant le sujet du film qui le retenait un peu, mais plutôt la couleur. Quand nous lui avons proposé une première version du scénario, il la trouvait un peu grise à la lecture. Il nous a dit que, pour lui, c'était un peu comme le pot-au-feu rassurant que les gens mangent tranquillement devant la télé. Il nous a suggéré de secouer ce pot-au-feu. Alors, on a mis des cornichons un peu acides et une moutarde un peu plus piquante. Et il avait tout à fait raison. Jean nous a donc apporté sa fantaisie, sa personnalité, mais il est allé aussi chercher des émotions très profondes en lui. Sur le plateau, nous en étions parfois bouleversés.»

Au moment de la sortie du film en France, Jean Rochefort avait laissé entendre que Floride annonçait probablement sa retraite définitive du métier. Toujours très vif d'esprit, l'acteur a toutefois nuancé ses propos depuis.

«Jean n'est pas du tout menacé par le genre de maladie que nous évoquons dans ce film, indique le cinéaste. En revanche, il y a autour de lui des gens qu'il aime, de la même génération, qui, eux, en souffrent. Il a voulu témoigner de ça, je crois. Le livre qu'il a écrit [Ce genre de choses], publié il y a un moment, est formidable. Il se raconte avec une précision très tranchante.»

Et la Floride?

Une partie de Floride a été tournée dans l'État qui donne au film son titre. Alors qu'aux yeux des Français, le rêve américain emprunte souvent l'image californienne ou new-yorkaise, Philippe Le Guay trouvait intéressante l'idée de faire de cet endroit prisé des retraités un vrai fantasme.

«La Floride est un lieu où l'on n'a pas mal, décrit le cinéaste. C'est comme une sorte d'éden. Il y a du soleil, de la douceur, tout y est harmonieux. Un genre d'endroit où l'on n'est pas atteint par la violence de la vie. Et qui s'offre comme une promesse d'apaisement. Tout cela relève du fantasme, bien sûr. La Floride, c'est un peu aussi la salle de cinéma. On va au cinéma parfois comme on se rend dans un refuge, pour se protéger de la vie. C'est un endroit où l'on est sûr d'être en paix.»

Ironie du sort, Jean Rochefort n'avait jamais mis les pieds aux États-Unis de sa vie avant le tournage de Floride. N'aimant pas beaucoup voyager, l'acteur n'avait d'ailleurs pas l'intention de s'y rendre au départ.

«Jean aime se retirer chez lui, à sa ferme, explique Philippe Le Guay. C'est un homme de la terre. Il n'était pas question pour lui de nous suivre en Floride et nous avions déjà envisagé des solutions de rechange - doublure, fonds verts, etc. - pour compenser. Or, après trois semaines de tournage en France, Jean est venu me voir pour me dire que ce serait vraiment bien si on allait poursuivre ça là-bas. J'ai trouvé cela très généreux de sa part.»

Habitué de travailler avec de grands acteurs (Fabrice Luchini est son acteur fétiche), Philippe Le Guay vient de terminer l'écriture de son prochain film.

«Il n'y aura pas de vedettes, car le récit met en scène une vingtaine de personnages, explique-t-il. L'intrigue est campée dans un village de Normandie et on y retrouvera un peu l'atmosphère de La grande séduction, même si l'histoire est complètement différente.»

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Floride prend l'affiche le 27 novembre.