Dans cet excellent drame, le meilleur qu'il ait réalisé depuis longtemps, Robert Redford renoue avec la tradition du film politique.

Dix minutes. Telle est la durée de ce tête-à-tête avec Robert Redford mené en pleine folie du Festival de Toronto l'automne dernier. À l'évidence, faire le tour du jardin d'une icône du cinéma en si peu de temps est impossible. Cela dit, cette rencontre a permis de constater à quel point l'homme âgé de 76 ans est resté fidèle à ses convictions, tant sur le plan artistique que politique.

Aussi ne faut-il pas s'étonner que le fondateur du Festival de Sundance ait voulu porter à l'écran le roman de Neil Gordon publié il y a dix ans. Le récit, fictionnel mais néanmoins inspiré de la réalité, retrace le parcours de militants impliqués dans un attentat à la fin des années 60, aujourd'hui rattrapés par leur passé.

L'acteur-cinéaste prête ainsi ses traits à un fugitif qui s'est construit une réputation enviable à titre d'avocat sous une fausse identité. Son histoire personnelle refait toutefois surface le jour où un jeune journaliste, interprété par Shia LaBeouf, publie un article sur les raisons qui ont poussé cet homme vers la clandestinité. The Company You Keep évoque les illusions perdues de militants vieillissants, la mouvance des idéaux, la quête d'intégrité morale et collective.

«À cette époque, j'étais un sympathisant de la cause, bien sûr, confie Robert Redford. À mes yeux, la guerre du Vietnam était une guerre injuste et injustifiable. Au début des années 70, je fondais une famille. Ma carrière prenait aussi son envol. C'est la raison pour laquelle je ne me suis pas impliqué directement dans la cause. Mais je m'y suis beaucoup intéressé. Et je connaissais des militants. Leur colère - et la mienne - a été attisée par la conscription. Ils se sont rebellés contre une guerre à laquelle ils ne croyaient pas et dont ils ne voulaient pas faire partie.»

Différentes perceptions

Au-delà de ce chapitre de l'Histoire américaine, il importait surtout au cinéaste de jeter un regard contemporain sur cette époque.

«Ce sont des gens qui étaient très proches les uns des autres, mais la vie les a amenés ailleurs, explique-t-il. Je trouvais intéressante l'idée d'explorer les différentes perceptions que peuvent avoir aujourd'hui des militants qui se sont engagés dans la cause dans les années 60 et 70. Certains ont répudié ce qu'ils ont fait; d'autres estiment qu'ils doivent racheter leur «faute» toute leur vie; enfin, il y a ceux qui défendent toujours les mêmes idéaux.

«Il est vrai que cette époque était formidable. Nous avions le sentiment que le monde était en train de changer. La musique, les drogues, l'amour libre. Toutes les barrières étaient en train de tomber. Évidemment, quand on regarde tout cela avec notre oeil d'aujourd'hui, on ne peut s'empêcher d'y voir un échec. Probablement dû à notre propre faute. Notre génération est tombée dans une sorte de complaisance très destructrice. Avec son ego surdimensionné, elle a frappé un mur. Or, on retrouve encore cette attitude chez certaines personnes.»

Tourné à Vancouver avec un très modeste budget, The Company You Keep réunit une imposante distribution, dominée par Redford lui-même.

«Je n'aime pas spécialement jouer dans un film que je réalise - je ne l'ai pas fait souvent, d'ailleurs - car j'ai alors l'impression de m'éparpiller un peu, indique l'acteur-cinéaste, lauréat de l'Oscar de la meilleure réalisation pour Ordinary People. Cela dit, je suis reconnaissant à tous ces acteurs qui ont participé au film pour trois fois rien.»

Outre Shia LaBeouf, Julie Christie, Susan Sarandon, Nick Nolte, Chris Cooper, Terrence Howard, Stanley Tucci, Richard Jenkins, Anna Kendrick et Sam Elliott ont répondu à l'appel. Le scénario fut par ailleurs écrit par Lem Dobbs, remarqué notamment grâce à son travail avec Steven Soderbergh (The Limey, Haywire).

Un regard lucide

On a souvent dit qu'il finirait bien par se lancer en politique, mais Robert Redford préfère se consacrer à la cause environnementale. L'exercice de son art lui tient aussi toujours autant à coeur, même s'il ne croit plus vraiment à sa capacité de changer le cours des choses. Sur le plan politique, du moins.

«J'ai compris depuis longtemps que le cinéma ne pouvait rien changer aux convictions qu'ont les gens, conclut-il. En 1972, je croyais fermement qu'un film comme The Candidate - mon premier long métrage à titre de producteur délégué - pouvait susciter une franche discussion sur notre système politique. C'était l'époque où l'image commençait à prendre le pas sur la substance. Tu parles! Sont ensuite venus les Dan Quayle, George Bush, Sarah Palin et compagnie! Cela dit, on fait le film quand même. Parce qu'il aura peut-être un écho.»

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The Company You Keep prend l'affiche le 26 avril en version originale.