Comme ses compatriotes Jane Birkin et Charlotte Rampling, Kristin Scott Thomas fait partie du cercle restreint des «plus françaises des actrices britanniques». Dans le nouveau film de François Ozon, elle trouve un rôle étonnant.

On pourrait presque croire à une carrière un peu schizophrène. Depuis qu'elle a été révélée, au milieu des années 80, dans le film de Prince Under the Cherry Moon, Kristin Scott Thomas se balade autant du côté du cinéma anglo-saxon que de celui du cinéma français. Étrangement, sa personnalité d'actrice est perçue différemment selon qu'elle tourne dans la langue de Shakespeare ou dans celle de Molière.

«Dans le cinéma anglais, on m'a collé une étiquette dont j'ai bien du mal à me débarrasser, a expliqué l'actrice au cours d'un entretien accordé à La Presse au Festival de Toronto. Aux yeux des cinéastes britanniques, on me donne une image plutôt classique. À vrai dire, on me voit surtout là-bas dans des rôles d'aristocrate ou de grande bourgeoise. Pour moi, c'est beaucoup plus compliqué en Angleterre qu'en France. J'adorerais tourner avec des cinéastes comme Andrea Arnold, Lynne Ramsey ou Michael Winterbottom. Mais je doute qu'ils fassent un jour appel à moi. J'avoue que cela me frustre un peu. Cela dit, j'ai la très grande chance de pouvoir décrocher de très beaux rôles au cinéma en France, et aussi de jouer de beaux personnages au théâtre en Grande-Bretagne. Comme j'adore monter sur scène, j'ai quand même l'impression d'avoir accès au meilleur des deux mondes!»

Le plaisir du théâtre

Installée en France depuis plus de 30 ans, Kristin Scott Thomas se sent aujourd'hui plus française que britannique. Elle se rend toutefois régulièrement dans son pays d'origine pour jouer. L'actrice dit en outre avoir redécouvert le plaisir du théâtre depuis une douzaine d'années.

«Étrangement, les metteurs en scène au théâtre n'hésitent pas à me confier des rôles très différents. J'ai eu la chance de jouer du Tchekhov, du Pinter, du Pirandello. D'ailleurs, comme j'étais au théâtre à Londres au moment où le tournage de Dans la maison a commencé, François Ozon a eu la grâce de tourner d'abord les scènes dans lesquelles je n'apparais pas, de suspendre ensuite le tournage pendant un mois, et de le reprendre à mon retour. Cela ajoute de la pression sur les épaules d'une actrice - il faut vraiment être à la hauteur -, mais enfin, quelle générosité! J'ai senti que François voulait vraiment que j'interprète ce personnage de directrice de musée!»

François Ozon et Kristin Scott Thomas se tournaient autour depuis quelques années. L'actrice avait toutefois l'impression que la rencontre n'aurait jamais lieu.

«Je me voyais difficilement dans un de ses films, car ils sont très français d'esprit à mes yeux, dit-elle. Je ne pouvais pas vraiment imaginer y trouver une place un jour.»

Puis, le scénario de Dans la maison est arrivé. Ce fut l'enthousiasme. Immédiat.

«Honnêtement, j'ai toujours du mal à évaluer les scénarios que je lis, fait remarquer l'actrice. Parfois, je m'enthousiasme sur des choses qui n'allument personne d'autre que moi, et d'autres fois, j'ai le sentiment de lire quelque chose de pas terrible qui, à l'arrivée, devient un grand film. C'est la raison pour laquelle je me fais beaucoup aider dans mes choix. Dans mon entourage, tout le monde a partagé mon enthousiasme pour le scénario de François. Dès la lecture, j'y ai vu un truc génial et bien ficelé, très drôle, avec en son centre des thèmes passionnants. On y aborde à la fois les relations entre un professeur mûr et un jeune élève; celles d'un couple bourgeois sans enfant qui compense l'absence d'une vie familiale par une adulation de la vie culturelle; sans oublier la fascination qu'exercent les histoires inventées de l'élève que ce couple bourgeois suit comme s'il s'agissait d'une téléréalité, un genre qu'ils méprisent habituellement, bien sûr.»

Des premières rencontres

Dans la maison marque non seulement la première collaboration entre l'actrice et le réalisateur de Potiche, mais aussi la toute première rencontre avec Fabrice Luchini.

«C'est étrange comment tout cela fonctionne, fait remarquer Kristin Scott Thomas. J'ai eu la chance de jouer avec plusieurs partenaires masculins d'envergure, parmi lesquels quelques-uns étaient invraisemblables, et je dois dire qu'avec Fabrice, tout s'est installé très vite, de façon très naturelle. Nous faisions vraiment «vieux couple» ! C'est cela qu'il fallait pour ce que ce film fonctionne. La qualité d'un bon acteur est de devenir le personnage dès que s'allume la caméra. Avec Fabrice, c'est instantané.»

Plus tard cette année, le public français aura l'occasion de retrouver l'actrice dans Avant l'hiver de Philippe Claudel, un cinéaste qui l'a déjà dirigée dans Il y a longtemps que je t'aime, dans lequel elle donnera la réplique à Daniel Auteuil. Auparavant, nous aurons vu Kristin Scott Thomas face à Ryan Gosling dans Only God Forgives, nouveau film - très attendu - de Nicolas Winding Refn (Drive).

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Dans la maison prend l'affiche le 19 avril.

Cinq essentiels de François Ozon

> SITCOM (1998)

Ce premier long métrage laisse d'emblée entrevoir chez François Ozon un goût pour l'humour noir, la perversité, et un malin plaisir à déboulonner les clichés liés à la vie de famille.

> SOUS LE SABLE (2000)

Détour du côté dramatique avec ce film dans lequel Charlotte Rampling se glisse dans la peau d'une femme attendant toujours le retour d'un mari disparu. Elle y a trouvé l'un de ses plus beaux rôles. Sous le sable est un film sobre et émouvant.

> 8 FEMMES (2002)

Dans cette adaptation d'une vieille pièce de boulevard, qu'il ponctue de chansons, Ozon magnifie huit des plus célèbres actrices du cinéma français. Il paraît que le tournage n'a pas toujours été simple...

> LE TEMPS QUI RESTE (2005)

Film vibrant et sensible dans lequel Melvil Poupaud incarne un jeune mourant qui préfère garder le secret sur sa condition. Jeanne Moreau et Valeria Bruni Tedeschi se distinguent magnifiquement dans ce film présenté en compétition officielle au Festival de Cannes.

> POTICHE (2010)

Après quelques années plus flottantes, François Ozon retrouve la voie du succès grâce à cette comédie jouissive dans laquelle Catherine Deneuve incarne l'émancipation des femmes dans les années 70, face à un Fabrice Luchini un peu dépassé par les événements...

Cinq essentiels de Kristin Scott Thomas

> FOUR WEDDINGS AND A FUNERAL (1994), Mike Newell

Cette comédie britannique a fait de Hugh Grant une star, mais elle a aussi révélé Kristin Scott Thomas auprès du grand public. Grâce à cette performance dans le rôle de l'amie du héros, elle obtient à Londres le BAFTA de la meilleure actrice de soutien.

> LE CONFESSIONNAL (1995), Robert Lepage

Dans cet excellent premier long métrage de Robert Lepage, Kristin Scott Thomas incarne l'assistante d'Alfred Hitchcock à l'époque où le maître du suspense est venu tourner I Confess (La loi du silence) à Québec.

> THE ENGLISH PATIENT (1996), Anthony Minghella

Ce grand drame romantique campé à l'époque de la Seconde Guerre mondiale, lauréat de neuf Oscars, a valu à Kristin Scott Thomas une nomination dans la catégorie de la meilleure actrice. Frances McDormand (Fargo) a été la lauréate cette année-là.

> GOSFORD PARK (2001), Robert Altman

L'actrice fait merveille dans ce film choral où elle incarne la femme d'un grand aristocrate anglais qui, dans les années 30, reçoit dans sa propriété de nombreux invités pour une partie de chasse.

> IL Y A LONGTEMPS QUE JE T'AIME (2008), Philippe Claudel

Aux Césars du cinéma français, Kristin Scott Thomas est citée pour une première fois dans la catégorie de la meilleure actrice. Son rôle est celui d'une femme énigmatique qui retrouve sa soeur après avoir séjourné en prison pendant 15 ans.

Photo: fournie par Films Séville

Dans la maison de François Ozon