Publié en 1933, le récit autobiographique de Vera Brittain relatait les années formatrices de cette intellectuelle et pacifiste, dont l'esprit a été forgé par la Première Guerre mondiale. Son récit de courage et de résilience a tôt fait de marquer les esprits, si bien que l'histoire de Vera Brittain occupe une place de choix dans la mythologie britannique du siècle dernier.

Le réalisateur britannique James Kent dirige l'actrice suédoise Alicia Vikander, qui incarne cette héroïne féministe, dans une version très intimiste de l'émergence de l'esprit d'une battante et penseuse en avance sur son temps.

Mais pourquoi raconter, 100 ans plus tard, l'histoire de Vera Brittain? 

«Elle est l'une des femmes les plus puissantes du siècle dernier, mais a malgré tout toujours été en marge de l'histoire, explique James Kent, lors d'un entretien téléphonique. Les destins personnels de battants, de ceux qui souffrent, sont plus intéressants à raconter que les histoires de rois et de princesses. J'aime les personnages avant-gardistes, progressistes, libéraux. Parce qu'ils sont toujours de grandes sources d'apprentissage», ajoute celui qui a surtout réalisé des miniséries pour la télévision britannique.

Kent explique que le choix d'Alicia Vikander (A Royal Affair), pour le rôle de Vera Brittain qui s'échelonne de 1910 à 1918, ne s'est pas fait sans créer la controverse.

«On m'a reproché de ne pas prendre une actrice britannique. Mais je me fichais pas mal de la question de l'accent, j'avais le pressentiment qu'elle possédait les qualités pour jouer Vera, possédait la force de tête et la profondeur émotive qu'il fallait. 

«Quand je l'ai rencontrée, j'ai perçu chez elle une personnalité rare. J'ai été séduit par ses yeux magnifiques qui sont des piscines de tristesse et sa grâce de ballerine. Je voulais une Vera qui bougerait avec grâce et posséderait une rapidité dans la détermination. Et ce sont des qualités qu'Alicia a démontrées, en plus de posséder une essence enfantine et une maturité qui lui permet d'interpréter Vera à la fin de l'adolescence jusqu'à l'âge de 26 ans.»

Récit d'initiation

Dans Testament of Youth, on rencontre une Vera Brittain studieuse et déterminée qui refuse le destin imposé aux jeunes filles de bonne famille de son époque, c'est-à-dire de se marier à un jeune âge, avec un garçon choisi par ses parents.

«Elle ne voulait pas épouser un garçon du village. Elle lisait George Eliot, elle cultivait son intellect et voulait devenir romancière. Il faut se rappeler à quel point cela était difficile, à cette époque. T'imagines: les jeunes de son âge devaient être accompagnés par un chaperon, lors d'une date, qui s'asseyait entre eux. Ils n'avaient même pas le droit de se tenir la main en public!», songe James Kent, qui estime que son héroïne serait aujourd'hui très malheureuse de l'indifférence du monde à l'endroit de la Syrie et du Moyen-Orient.

«Je pense qu'elle serait navrée de constater la dépolitisation des jeunes, de leur obsession pour Facebook, Instagram, Tinder et du désengagement politique qui est généralisé. En revanche, je pense qu'elle trouverait consolation dans l'engagement pour la cause écologiste, puisque cela rejoindrait son esprit purement romantique.»

Persévérante, Vera Brittain parvient à se faire admettre à Oxford, à une époque où la prestigieuse université accepte les femmes, mais ne leur alloue pas de diplômes. Elle vit un amour naissant avec un soldat parti au front, abandonne les études pour participer à l'effort de guerre en tant qu'infirmière, soigne des blessés allemands, perd des proches et construit ainsi sa pensée pacifiste. 

«La fin de Testament of Youth est à mon avis très inspirante. Parce que malgré tous ses deuils, Vera réussit à s'exprimer et à trouver sa place dans le monde.»

La propre fille de Vera Brittain, Dame Shirley Williams, a d'ailleurs eu un oeil sur la réalisation du film, confirme James Kent. «Elle adore sa mère, qu'elle considère un peu comme une héroïne. Mais elle craignait que le film verse dans quelque chose de trop hollywoodien et transmette une version glamour de la guerre. Le jour de la projection du film, j'appréhendais sa réaction avec une grande nervosité. Mais elle a trouvé le film fantastique et l'a revu cinq ou six fois et en est très fière», rapporte James Kent, qui espère que son film touchera un public jeune.

«Je voulais parler aux jeunes de la perte de l'amour et du deuil, de colère, de passion et des batailles que mènent des gens comme Vera Brittain. Moi-même, en tant qu'homme gai, j'ai l'impression que la bataille ne se terminera jamais. Mais il faut toujours continuer.»

Testament of Youth prend l'affiche le 19 juin.