Infoman célèbre son 15e anniversaire à l'antenne d'ICI Radio-Canada. Jean-René Dufort, qui vient de publier un livre de photos, On est tous quelque part (aux Éditions La Presse), prépare depuis cette semaine son émission spéciale du 31 décembre.

Comment expliques-tu la longévité d'Infoman?

Je ne l'explique pas! C'est encore plus ésotérique pour moi que pour les autres. Quand on me dit que ça fait 15 ans, c'est comme si on m'apprenait que j'étais un vieux rafiot alors que, dans ma tête, ça fait juste 15 minutes. Dans l'équipe, on a tous la même maladie d'être un peu niaiseux. On a du fun. La cloche de la récréation n'a pas sonné, alors on continue à jouer naïvement. Une conférence de presse plate avec trois verres d'eau et un ministre qui fait mine de savoir de quoi il parle alors qu'il a été nommé il y a quatre jours, ça me fait encore rire. Un être humain normal se serait peut-être tanné!

Vous avez traversé des époques, survécu à bien des gouvernements...

Et à bien des tendances. Il n'y a pas longtemps, on a résisté à une grosse vague d'intégration publicitaire, alors que Radio-Canada en arrache et tente par tous les moyens de trouver de nouvelles sources de financement. On leur a dit que ce n'était tellement pas nous et que ça ne ferait plaisir ni à nous ni aux publicitaires.

Ni à vos auditeurs! Personne n'y trouverait son compte.

On n'a pas beaucoup changé le concept depuis le début de l'émission. Même si on a dû s'adapter. Je n'aime pas beaucoup ta question parce qu'elle m'amène à réfléchir à ce 15e anniversaire! Aux débuts d'Infoman, Twitter, Facebook et les réseaux sociaux n'existaient pas. Un scoop pouvait durer plus de 15 minutes. On est passés d'une vedette rapide à un vieux paquebot. Il faut trouver des idées qui durent une semaine avec des moyens dignes du Salon des métiers d'art.

On a désormais l'attention d'un enfant de 4 ans devant le flot de nouvelles. Mais vous restez les seuls à avoir ce regard un peu décalé sur l'actualité, en traitant des à-côtés d'une conférence de presse, par exemple. Ça n'a pas été exploité par d'autres au Québec. Pourquoi vous a-t-on laissé ce terrain de jeu?

Je ne pense pas qu'on nous l'a laissé. Je pense que c'est grâce à notre maladie de voir ce genre de détails, alors qu'on ne voit pas le reste. On ne sait pas pourquoi ça nous intéresse. Quand on nous dit qu'on est uniques, ça nous fait un peu peur: ça veut dire qu'on a vraiment une maladie psychiatrique! C'est déprimant parce que le jour où je ne ferai plus Infoman, je vais rester pogné avec ma maladie!

Après 15 ans d'Infoman, as-tu peur pour la suite des choses? Pourras-tu te réinventer et faire autre chose? Pour bien des gens, tu es et tu resteras Infoman jusqu'à la fin de tes jours...

Je suis un peu comme Marc Labrèche pour ça. Je n'ai pas de plan de carrière. Les autres savent plus que moi ce que je ferai par la suite. Les gens ne le réalisent pas - c'est un jeu de mots involontaire -, mais je suis un meilleur réalisateur que clown à la télé. Le bon réalisateur en moi sauve le mauvais clown à la télé. Je pourrais réaliser pour un autre animateur. C'est peut-être plus facile pour un clown de devenir sérieux que le contraire. J'aime beaucoup la photo. Je pourrais me promener en faisant du photojournalisme...

Tu pourrais continuer longtemps à faire Infoman?

J'ai dit aux patrons de Radio-Canada que ce sont eux qui décideraient de nous mettre à la porte quand ils seront tannés. C'est sûr que j'ai peur du syndrome Bobino un peu, quand j'entends dans la rue: «Heille, c'est Infoman!» J'ai un nom aussi...

Tu as animé, le week-end dernier, le congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Comment perçois-tu l'évolution de ton rapport avec les médias? Ce n'était pas facile au début. On craignait beaucoup l'arrivée de «l'information-spectacle» à Radio-Canada...

Au début, c'était très difficile. J'ai déjà vu un patron de RDI monter littéralement les deux genoux sur une table pour me dire que je n'avais pas le droit d'exister. Dès la première année. Je ne comprenais pas trop pourquoi. Au fil des ans, on les a amadoués. Ils ont compris ce qu'on faisait. Maintenant, la salle de nouvelles nous fournit constamment du matériel qui ne peut être utilisé dans un topo traditionnel. On est rendus le «module clown» de l'information. L'émission serait impossible à faire sans la collaboration de la salle de nouvelles. On m'a utilisé au départ comme mascotte d'un problème réel, qui est de savoir qui est journaliste et qui ne l'est pas. Est-ce qu'un journaliste d'Échos Vedettes ou du Naturopathie Express est un journaliste? Il est difficile de définir le métier de journaliste.

Surtout aujourd'hui, avec la multiplication des blogues et des médias sociaux...

Avec le journalisme numérique, n'importe qui est non seulement un journaliste, mais aussi son propre média. Une station de télé à lui tout seul. La «game» a changé! J'en parlais justement pendant mon allocution au congrès des journalistes. Je suis content d'avoir été apprivoisé par les journalistes. Je comprends que plusieurs se soient demandé quel genre de bibitte j'étais. La plus grande réussite d'Infoman, c'est d'être devenu un complice des médias traditionnels, en restant complémentaire. De rester à l'extérieur, de ne pas avoir de carte de presse, d'être dans un carcan différent, avec des possibilités différentes, tout ça nous sert énormément.

On aurait de la difficulté à se passer de votre regard sur une campagne électorale.

Les journalistes de l'écrit sont beaucoup plus diversifiés qu'à la télé. Pourquoi au Téléjournal, il n'y a pas un Foglia, des commentaires, des éditoriaux, pour compléter les reportages habituels? Pourquoi c'est toujours le même type de topo présenté 20 fois? Pourquoi il n'y a pas plus de diversité journalistique à la télévision? Il paraît qu'à la télé, ça ne se fait pas... Je ne le comprends pas. Si j'étais arrivé à l'écrit après La fin du monde est à 7h, j'aurais été un phénomène banal.

C'est vrai que, parfois, tu pratiques une forme d'information presque traditionnelle: ton reportage sur les écoles en décrépitude*, par exemple...

On aime nous cataloguer comme une émission d'humour. J'ai toujours résisté à ça. J'aime faire de temps à autre des reportages qui sont différents, qui présentent un point de vue éditorial, avec une fronde, comme celui sur les écoles. Certains me disent: «Mais c'est pas drôle?!» Ben non. Infoman, ç'a toujours été un yogourt mal brassé de visions différentes: du plus sérieux, du comique, de la satire. C'est un combat de tous les jours de résister à faire des jokes. Mais une demi-heure seulement de jokes et je me taperais sur les nerfs moi-même.

Est-ce que 2015 a été un bon cru pour ton émission de fin d'année?

Je pense que c'est un très bon cru mais que c'est un cru qui comporte bien des pièges. Il y a eu beaucoup d'affaires plates: les réfugiés, Charlie Hebdo, les derniers attentats de Paris. Comme un spécial de fin d'année n'est pas une émission ordinaire, le ton ne peut pas être trop dramatique. On ne veut pas casser le party. Le spécial est plus bon enfant. Les politiciens ont des passe-droits un peu plus: c'est la fin de l'année pour tout le monde. Comme dans toute famille, même s'il y a un beau-frère qu'on haït, on lui sert de la dinde pareil!