Selon une étude récente de l'Observatoire de la culture et des communications du Québec, Rachid Badouri est l'humoriste qui a attiré le plus de spectateurs en salle en 2014 au Québec. Le hic, c'est que Louis-José Houde a gagné en mai dernier l'Olivier du spectacle le plus populaire pour la même année. Qui dit vrai? Y aurait-il deux rois de l'humour pour un seul trône au Québec?

Le 24 septembre, Benjamin Phaneuf, producteur et imprésario de Louis-José Houde, a sursauté en lisant le titre de La Presse «Rachid 1er, roi de l'humour». Comment Rachid Badouri, protégé de Juste pour rire, pouvait-il être le roi alors que Louis-José Houde a obtenu l'Olivier du spectacle le plus populaire de 2014? 

Des vérifications ont été faites par La Presse auprès des producteurs des deux humoristes, de l'Association des professionnels de l'industrie de l'humour (APIH) - qui organise le Gala Les Olivier et en établit les règlements - et de l'Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ), qui effectue chaque année le classement des 25 spectacles des arts de la scène qui ont connu le plus de succès.

Résultat: il semble que, pour une rare fois, deux humoristes québécois aient connu un succès comparable au box-office. Si chaque humoriste a arraché une première place, cela découle du fait que les paramètres de l'APIH et de l'OCCQ sont différents. «On ne mesure pas les mêmes choses», explique Claude Fortier, responsable du palmarès de l'OCCQ.

L'APIH, qui obtient ses données des producteurs de spectacles, considère en effet que l'Olivier du spectacle le plus populaire de l'année échoit à l'humoriste qui a vendu le plus grand nombre de billets entre le 1er janvier et le 31 décembre de l'année précédente, au Québec et à l'extérieur de la province, notamment à Ottawa et à Moncton.

De son côté, l'OCCQ ne compile (à partir des chiffres des diffuseurs) que les spectacles présentés au Québec. De plus, contrairement à l'APIH, le palmarès de l'OCCQ inclut les billets de moins de 15$ (mais il y en a peu pour voir Rachid ou Louis-José !) et les billets de faveur donnés à des spectateurs, notamment à des journalistes, «mais cela ne représente que de 5 à 8% des billets», affirme Claude Fortier.

La part des billets de faveur 

Un tel pourcentage peut-il avoir fait la différence entre Louis-José Houde et Rachid Badouri? Peut-être si la lutte était très serrée. Mais Lucie Rozon, productrice à Juste pour rire, ne le pense pas. «On a droit à huit billets de faveur par show en région, alors ça ne peut pas être ça. Et si on a des billets de faveur pour Rachid, il y en a autant pour Louis-José», dit-elle.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Selon une étude récente de l’Observatoire de la culture et des communications du Québec, Rachid Badouri est l’humoriste qui a attiré le plus de spectateurs en salle en 2014 au Québec.

Mais quand on prend en considération le nombre de billets vendus divulgué par les producteurs, la différence paraît notable. En effet, Louis-José Houde a vendu 333 333 billets pour son spectacle Les heures verticales entre juillet 2012 et janvier 2015, alors que Rachid Badouri en a vendu 200 000 pour son spectacle Rechargé depuis l'été 2013.

Houde a donc commencé à donner des représentations de son show bien avant Badouri, qui, lui, était très actif en France. En 2013, Louis-José Houde a d'ailleurs fini premier au palmarès de l'OCCQ; Badouri, lui, était septième.

En 2014, Badouri a fait le plein des grandes salles. Est-ce la raison pour laquelle il se retrouve premier au palmarès de l'OCCQ, devant Louis-José Houde? Les billets de faveur ont-ils changé la donne, tout comme les spectacles de Houde donnés à Ottawa? 

«Ça ne se peut pas qu'Ottawa fasse une si grande différence», explique Benjamin Phaneuf.

Claude Fortier n'est pas d'accord avec ce 20 %. Son palmarès prend en considération plus de 90% des salles, dit-il. «On ne diffuse pas notre palmarès si on n'a pas tous les gros joueurs de l'industrie», ajoute-t-il.

On pourrait en avoir le coeur net dans toute cette saga si l'OCCQ, l'APIH et les producteurs des humoristes acceptaient de divulguer le nombre d'entrées des deux spectacles pour l'année 2014. Mais nos demandes sont restées lettre morte. L'APIH a même refusé de nous donner une idée de l'écart qu'il y a eu entre Badouri et Houde pour savoir à quel point la course était serrée.

«Il y a des années où un humoriste domine, alors la différence entre les deux palmarès ne joue pas, dit Claude Fortier. Mais quand les [chiffres des] deux humoristes sont proches, les critères peuvent faire en sorte que notre palmarès et le prix des Olivier ne donnent pas le même résultat. En même temps, personne n'a tort et personne n'a raison ! Ce sont deux mesures légèrement différentes.»