Il y a bientôt deux ans que Maxime Morin, mieux connu sous le nom de Champion, est remonté sur scène après avoir lutté contre un cancer du sang. °1 est son premier album depuis, un disque étonnant, qui flirte avec la musique classique, mais qui a moins à voir avec ses aventures d'un soir avec les orchestres symphoniques de Québec et de Montréal qu'avec sa remise en question après avoir vu la mort de près. Rencontre avec un créateur qui ne tient pas en place.

Maxime Morin a toujours dit que son job comme DJ était de faire danser le monde. Posez-lui la même question aujourd'hui, à quelques jours de la sortie de son nouvel album, °1 (lire: Degré 1), et la réponse n'est plus tout à fait la même.

«Pantoute! J'ai adhéré à ça longtemps, mais pour ce disque-là, j'ai voulu faire une vraie mise à nu plutôt que d'essayer de montrer une belle facette de moi en faisant un disque cohérent du début à la fin. Montrer tout moi, le bon et le mauvais, le plus doux et le plus trash», explique Champion, qui nous reçoit dans son studio maison qui lui sert de laboratoire.

À écouter les riches orchestrations de cet album, dans lequel un ensemble de cordes côtoie un trombone et la voix de la rappeuse Fabrizia Di Fruscia de Random Recipe, on pourrait déduire que ce virage à saveur classique est le résultat du travail du DJ avec l'OSQ et l'OSM l'an dernier. Pourtant, l'essentiel de °1 existait bien avant ça. La pièce à saveur latine Montecristo, d'abord baptisée Santa comme dans Santana, date de 2006, et 40#@%&! a été composée quand il a eu 40 ans. C'est elle, belle et plus apaisante que ne le suggère son titre, qui donne le ton au disque.

Alors, d'où lui vient cette fascination pour la musique classique?

«C'est quand je me suis fait dire: tu vas faire de la chimio, mon boy!» répond-il en pouffant de rire. Puis il ajoute: «En fait non, quand j'étais malade, j'ai arrêté complètement de penser que j'étais un musicien, j'ai arrêté de vouloir plaire, d'être dans ce trip d'ego-là. Je ne me disais pas on verra plus tard, c'était fini! Puis j'ai commencé à faire des trucs, des petites compositions, et c'est revenu tranquillement sous cette forme-là.»

Les accents classiques de plusieurs de ses nouvelles compositions font mieux passer la douceur, la sensibilité et la détresse que «le trip esthétique» de la musique électronique, estime-t-il. Mais comme pour dissiper tout doute sur une nouvelle orientation musicale qui exclurait les autres, il nous fait entendre les «explorations bizarres» auxquelles il s'est adonné parallèlement à la création de °1: des beats nerveux, de la distorsion, du bruit et quelques moments plutôt heavy. Plus tard, il fait jouer des bribes d'un ensemble de pièces éclectiques, pour la plupart très rythmées, et lance: «Tu vois, le prochain disque est déjà fait!»

Blague-t-il? Il y a fort à parier qu'il ne le sait pas lui-même. Désormais pour le musicien, compositeur, chef d'orchestre, DJ et chanteur, tout est possible. Son contraire aussi.

Un vieux modèle

En juin 2010, Maxime Morin a appris qu'il souffrait d'un lymphome. En pareilles circonstances, l'ego en mène moins large et ce n'est pas évident par la suite de réintégrer l'univers de la musique et des arts, celui de la «célébration de l'ego», constate-t-il.

Aujourd'hui, l'homme de 44 ans se porte bien: «Disons que je suis usagé, je suis un vieux modèle. J'ai travaillé très très fort sur mon disque, mais j'ai bien mangé et j'ai dormi quand il le fallait. J'ai bien fait ça. Je voulais faire un polaroïd des deux dernières années de ma vie et essayer d'être le plus transparent possible.»

Deux chansons parlent explicitement de la mort, Requiem Dem et Dead Before, tandis qu'une troisième, Virginie, qui n'a rien de techno au départ, mais qui le devient progressivement, lui a été inspirée par la mort de sa belle-mère. «C'est techno au niveau de la construction et de la rythmique, mais tu ne sens jamais que c'est une toune dance. Le gros kick-drum du house est là, mais ça ne devient jamais vulgaire.»

Dans Requiem Dem, des voix se croisent dans un crescendo quasi cacophonique. «J'ai frôlé la mort et le passage vers la mort, c'est comme une espèce de néant chaotique très épeurant parce qu'on n'a aucune idée de ce qui s'en vient, explique-t-il. C'est un peu ça que je voulais illustrer avec plusieurs voix qui s'entremêlent:: il y a trop de choses qui se passent, arrêtez, je débarque, je veux être vivant!»

Des ovnis

Être vivant, c'est aussi se permettre des libertés comme de boucler ce troisième album avec quatre chansons plus proches du blues du delta et du rock de garage auxquelles il prête sa propre voix, plus caverneuse que celle de Pilou, le chanteur de ses fidèles G-Strings.

Au départ, Champion voulait disperser dans tout l'album ces quatre ovnis musicaux «On fait deux ou trois tounes propres et la quatrième est toute crottée» , mais son entourage le lui a déconseillé vivement. On s'est finalement entendu pour les regrouper à la toute fin du disque. «C'est sûr que ma première idée était la meilleure, mais il y avait juste moi qui la comprenais», dit-il en rigolant.

L'autre jour, un copain lui a demandé s'il était nerveux au moment de lancer ce nouvel album si différent des autres. «Non, je ne suis pas nerveux, que je lui ai répondu. J'ai peur d'être arrogant en disant ça, mais si tu dis la vérité à quelqu'un, tu ne peux pas être nerveux: c'est la seule chose que tu peux lui dire. Ce disque-là, c'est une mise à nu: tu peux me trouver laid ou beau, mais de là à dire que c'est pas bon, fuck off!»

°1 sera en magasin mardi.