L'image est forte. En première page du magazine New York, 36 chaises noires sur fond blanc: 35 chaises sur lesquelles sont assises, vêtues de noir, les femmes qui disent avoir été agressées sexuellement par le comédien Bill Cosby. Et une chaise vide, pour toutes les victimes qui ne souhaitent pas témoigner publiquement.

Lancé dimanche soir sur les réseaux sociaux, ce reportage explosif intitulé «Bill Cosby: The Women. An Unwelcome Sisterhood» a eu un retentissement partout dans le monde. Des milliers d'internautes ont relayé la photo-choc sur Twitter et Facebook. Puis le mot-clic #TheEmptyChair, en référence à la chaise vide sur la photo, est apparu, accompagné de messages d'appui ou encore de témoignages d'agressions sexuelles. Hier matin, au moins 10 000 tweets affichant ce mot-clic avaient déjà été comptabilisés.

Le tabloïd New York Daily News - qui fait rarement dans la dentelle - a ajouté son grain de sel en publiant une photo de Bill Cosby à la une avec ce titre sans appel: «America's Rapist».

«En 2005, Bill Cosby contrôlait les médias. En 2015, nous avons les médias sociaux. Nous ne pouvons pas disparaître», a déclaré une de ces femmes, Tamara Green.

Coup de malchance, le site web du magazine New York a été victime d'un pirate informatique dans la nuit de dimanche à hier. Un jeune homme, qui n'aurait aucun lien avec Bill Cosby à première vue, souhaitait s'en prendre à la ville de New York (et à tous les sites qui portent son nom, selon le site The Daily Dot). Drôle de hasard qui a fait en sorte que le site du magazine, que tout le monde voulait consulter hier matin, est resté paralysé durant plusieurs heures. L'hebdomadaire a dû publier des portions de son reportage sur Tumblr et Instagram.

Des histoires qui se ressemblent

La journaliste Noreen Malone et la photographe Amanda Demme ont passé six mois à recueillir les témoignages de 35 des 46 femmes qui se disent victimes de Bill Cosby. Parmi elles, on retrouve d'anciens mannequins (Beverly Johnson, qui avait déjà raconté son histoire à Vanity Fair en 2014), des serveuses, des actrices qui, comme Lili Bernard, ont obtenu de petits rôles dans The Cosby Show. Certaines étaient mineures au moment des agressions.

Aujourd'hui âgées de 20 à 80 ans, ces femmes racontent sensiblement la même histoire: elles ont été présentées à Bill Cosby par leur agent ou par quelqu'un qui leur promettait un coup de pouce pour leur carrière. Certaines travaillaient avec lui et le côtoyaient au quotidien. Dans tous les cas, elles auraient été droguées et agressées. Les agressions auraient eu lieu entre les années 60 et les années 2000. Cosby, longtemps considéré comme un symbole de la réussite des Noirs aux États-Unis, est aujourd'hui âgé de 78 ans.

Comme un écho de l'affaire Ghomeshi

Cette sordide histoire n'est pas sans rappeler l'affaire Ghomeshi et le mot-clic #AgressionNonDénoncée qui a suivi, et qui a fait le tour de la planète. «Je trouve ça à la fois dommage qu'il y ait autant de victimes mais en même temps encourageant de voir qu'elles ont le courage de parler et de dénoncer. C'est un signe que le monde change», a souligné Sue Montgomery, jointe par La Presse.

L'ex-journaliste de Montreal Gazette, elle-même victime d'agression, est une des deux femmes qui ont lancé le mot-clic #BeenRapedNeverReported l'an dernier, un mouvement qui a permis à des millions de femmes sur la planète de témoigner des agressions qu'elles avaient subies. «On est en présence d'une vague, c'est certain, note Sue Montgomery, aujourd'hui candidate à l'investiture du Nouveau Parti démocratique dans Westmount. Les femmes n'acceptent plus de garder le silence.»

Qui sont ces femmes?

Bill Cosby est dans l'embarras depuis novembre dernier, mais les premières allégations le concernant remontent à une quinzaine d'années. En 2000, une jeune actrice, Lachele Covincton, a porté plainte contre lui pour attouchements sexuels. Puis en 2005, Andrea Constand a affirmé que celui qui incarnait l'image du bon père de famille, grâce à son rôle dans The Cosby Show, l'avait droguée et agressée un an plus tôt. Leur témoignage n'a toutefois pas été pris au sérieux. Ironiquement, ce qui a changé la donne dans toute cette affaire est la vidéo d'un humoriste américain - Hannibal Buress - qui a traité Bill Cosby de violeur durant un de ses spectacles, en octobre dernier. La vidéo est devenue virale, et c'est à ce moment que les médias ont commencé à s'intéresser véritablement à toute cette histoire.

La semaine dernière, le New York Times a rendu public un témoignage de Bill Cosby d'il y a 10 ans dans lequel l'acteur avoue s'être procuré du méthaqualone - un sédatif dont les effets sont comparables à ceux des barbituriques - dans le but de l'administrer à des femmes il y a une trentaine d'années.

«Il s'agissait d'une drogue récréative très utilisée dans les années 70 et reconnue pour décoincer sexuellement les gens», a précisé l'acteur par la bouche de ses avocats.

Les femmes qui disent avoir été agressées par Cosby ne partagent pas son avis. Le président des États-Unis non plus, semble-t-il. «Si vous administrez de la drogue à une femme - ou à un homme - à son insu et que vous avez une relation sexuelle avec cette personne sans qu'elle y consente, c'est un viol», a déclaré récemment Barack Obama.

Les autres femmes de l'affaire Cosby

C'est Gloria Allred, une avocate féministe très connue aux États- Unis, qui représente une quinzaine des femmes qui se disent victimes de Cosby. Il semble toutefois que la limite légale de prescription des faits soit dépassée et que la plupart des femmes ne pourront déposer une plainte contre l'acteur. Cette limite varie de 3 à 12 ans, selon les États. Certains États n'ont aucune limite.

C'est la journaliste Noreen Malone (avec la collaboration de la journaliste Jennifer Kirby) et la photographe Amanda Demme qui ont réalisé le reportage percutant du magazine New York. Vêtues de noir à la une du magazine, les 35 femmes sont toutes vêtues de blanc lorsqu'elles racontent leur histoire dans les pages intérieures (et sur le site) du magazine.

Mariée à Bill Cosby depuis 1964, la productrice de télévision Camille Cosby continue à clamer l'innocence de son mari. Le personnage de Claire Huxtable, incarné par Phylicia Rashad, a été inspiré par la femme de Bill Cosby, avec qui elle a eu cinq enfants, comme dans la sitcom.

Jusqu'à hier, l'actrice Phylicia Rashad, qui incarnait Claire Huxtable, la femme de Bill Cosby dans The Cosby Show, défendait l'intégrité de son ami, qu'elle a toujours décrit comme un homme génial et généreux. Elle est restée silencieuse depuis la publication du reportage du magazine New York.

Massothérapeute vivant à Toronto, Andrea Constand est la première de ces femmes à être sortie de l'ombre en 2005. Elle affirmait que Bill Cosby l'avait droguée et agressée l'année précédente. À la suite de son témoignage, 12 autres femmes ont dénoncé l'acteur. Leur témoignage n'a pas été pris au sérieux. Mme Constand a pour sa part signé une entente à l'amiable lui interdisant de s'exprimer publiquement sur l'affaire.