Premier Québécois à remporter la Coupe du monde de slam poésie à Paris, auteur de deux recueils de poèmes, slameur-parolier vu en première partie de Grand Corps Malade, mais aussi travailleur social et animateur dans les écoles et centres de détention, David Goudreault lance son premier roman. La bête à sa mère est certainement l'un des romans les plus étonnants - et détonants - de cette fin de saison. Oubliez le réalisme magique, voici le réalisme comique. Même si ce n'est pas parce qu'on rit que c'est drôle...

«On entend toujours dire: la littérature m'a sauvé la vie. Eh bien, pas lui!», dit en riant David Goudreault du personnage principal de son premier roman, La bête à sa mère. Personnage dont on ne connaîtra jamais le nom, ce jeune narrateur dont la «mère se suicidait souvent» et qui collectionne les familles d'accueil est, pour reprendre les mots de son créateur, «un petit criminel minable et banal du quotidien, le genre qu'on retrouve dans les faits divers, toujours dans l'entrefilet à côté du gros article sur Mom Boucher»!

C'est documenté

En principe, un personnage peu sympathique. Et qui souffre, pour reprendre les mots des spécialistes, de «distorsion cognitive» extrême. Là où Goudreault fait très fort, c'est en prêtant à ce petit criminel québécois un langage châtié. Un français quasi international. Et des références culturelles, parfois un peu tout croche (Le volume de la radio à fond, [...] je suis rentré à la maison en duo avec Vigneault. "Chante-la ta chanson, la chanson de ton coeur, la chanson de ta vie"... »), mais des références culturelles tout de même. Pour ceux qui connaissent déjà Goudreault et ses poèmes en langue québécoise assumée, le choc est encore plus fort.

Dans tous les cas, c'est d'une redoutable efficacité: c'est parce qu'il s'exprime bien qu'on s'attache à ce petit délinquant qui justifie tous ses méfaits et ses opinions par les mots «C'est documenté». Après tout, tout comme lui, ne légitimons-nous pas souvent nos idées - et nos préjugés - en affirmant «Je le sais, je l'ai lu!»?

Plus fort, toujours plus fort, le personnage assène des quasi-aphorismes. Oui, il vole, il ment, il harcèle, il manipule, il est égocentrique, sexiste, toxicomane, raciste, alcoolique, grand consommateur de pornographie, bref, absolument déviant.

Mais il a le sens de la formule, un sens de l'humour décalé et des instants de lucidité qui font mouche: «On n'est jamais si seul que par soi-même», «Le bouddhisme et la bouderie nécessitent un silence et une concentration peu accessibles au commun des mortels», «Une danseuse en furie, c'est plus dangereux qu'un sac d'arachides dans une garderie», «C'est agréable de respirer. On ne le réalise pleinement qu'avec des côtes et un nez brisés». Et puis, cette phrase terrible: «J'aurais mieux fait de naître bouvier bernois», quand il constate que les animaux domestiques sont mieux traités que les enfants de la DPJ...

C'est écrit

«Je me suis demandé comment rendre crédible qu'un tel personnage prenne la plume et veuille écrire, explique David Goudreault. Et si, pendant son enfance, il s'était réfugié dans les livres? Après tout, il explique lui-même qu'il souffre de dysphasie [trouble du langage qui limite la compréhension ou l'expression des paroles], il peut bien avoir trouvé un refuge dans la littérature, enfant.» 

«Ce qui est troublant, c'est que si ce gars-là était tombé dans les chiffres plutôt que dans les livres, il serait peut-être simplement un excellent trader! En fait, il est d'autant plus dangereux qu'il est articulé.» - David Goudreault, à propos du protagoniste de son premier roman

S'il y a une part d'autobiographie dans ce roman, c'est au travailleur social qu'est David Goudreault qu'on le doit. «Je ne me suis pas beaucoup inspiré de mon vécu personnel, mais plutôt de mon vécu professionnel. J'ai longtemps travaillé pour le Centre d'aide aux victimes d'actes criminels, je faisais de l'accompagnement avec les policiers, et j'ai assisté à des scènes tragiques et loufoques tout à la fois... En exergue du livre, j'ai mis ce proverbe populaire: "Même les horloges brisées donnent l'heure juste deux fois par jour." Mon personnage est complètement à côté de la réalité, dit-il. Mais même à côté de la réalité, on touche par moments la vérité. La vérité sort de la bouche des enfants, mais aussi des malades mentaux, des marginaux, même des criminels...»

C'est réfléchi

David Goudreault s'est «gâté» en permettant à son personnage quelques réflexions bien senties sur les caisses populaires, les services sociaux et un certain nationalisme, par exemple. Ou en expliquant (sans les excuser) certains comportements considérés comme répréhensibles, comme l'automutilation. C'est souvent cru, violent, pas politiquement correct, mais qu'en des termes élégants ces choses-là sont dites... On sent que l'auteur, père d'une petite fille, a aimé le souffle de l'écriture romanesque, qu'elle lui a permis d'exprimer des choses qui siéent moins à sa poésie, plus personnelle.

«C'est en écrivant ce roman que j'ai pu poursuivre ma réflexion sur l'égocentrisme, conclut l'écrivain sherbrookois de 34 ans, qui structure déjà un second roman. Pour moi, l'égocentrisme, c'est le mal du siècle. C'est au coeur de toutes les tragédies humaines, financières, militaires que l'on vit. La Bible affirme qu'"au commencement était le Verbe". Malheureusement, le verbe était "je veux"...»

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La bête à sa mère. David Goudreault. Stanké. 232 pages.