«L'amant du lac est le premier roman érotique écrit par une auteure amérindienne du Québec», est-il écrit au dos du livre de la peintre, poète et romancière Virginia Pésémapéo Bordeleau. C'est aussi et surtout un livre sur la profonde sensualité de toute chose: un dos, un lac, un café, un rire, l'odeur du sapinage, une esquisse au fusain, la douleur... Entrevue avec la petite-nièce d'Émilie Bordeleau (oui, la fille de Caleb), qui a campé une histoire d'amour et de plaisir entre un Métis et une Algonquine sur les bords du lac «Appittibbi», pendant la Seconde Guerre mondiale.

Érotique, le deuxième roman de Virginia Pésémapéo Bordeleau? Oui, mais pas du tout à la manière de L'amant de Lady Chatterley, de Cinquante nuances de Grey ou d'Histoire d'O. Pas de soumission ou de sadomasochisme dans L'amant du lac, qui puise plutôt dans un érotisme solaire, heureux, sensoriel, naturaliste, lyrique et pourtant sans sentimentalisme. «Je fais tout pour éviter le larmoiement, la victimisation et l'idéalisation, j'aime mieux les humains comme ils sont», dit l'écrivain, avec chaleur.

En 1942, après avoir échappé de peu à une noyade dans le lac Abitibi, Gabriel, un trappeur métis instruit qui porte des lunettes et écrit des poèmes, rencontre Wabougouni l'Algonquine, l'Abishnage aux cheveux roux, seul vestige visible du prêtre qui viola sa grand-mère. Que Wabougouni soit enceinte d'un autre n'empêche pas leur liaison, d'abord charnelle, puis amoureuse. Leurs amours prennent racine dans une nature encore peu défrichée, luxuriante et âpre tout à la fois. Gabriel doit toutefois quitter Wabougouni et le Québec pour se battre en Europe.

Pour rendre compte de ce métissage, de ce «sang mêlé» littéral qu'est l'amour physique, Virginia Pésémapéo Bordeleau mêle des mots et dialogues en algonquin à un français très précis, d'où émergent de beaux mots rares («nitescence»...) et des descriptions de paysages qui bruissent et sentent bon, même quand on est assis en plein milieu de son salon à Rosemont.

«Je ne voulais pas faire un livre de sexe de plus, dit de sa jolie voix rieuse Virginia Pésémapéo Bordeleau au bout du fil, en direct de l'Abitibi. Je voulais dire qu'il y a moyen d'aimer autrement, et je tenais à ce que l'histoire se passe au Québec, avant l'arrivée des pensionnats amérindiens, bâtis après la guerre, quand les corps et les âmes des Amérindiens étaient encore en contact avec la terre. Je voulais dire la sensualité qu'il y a partout, j'ai donc sensualisé aussi le lac, la forêt...»

La peintre qui doit écrire

«Je sais que j'ai du talent comme peintre», ajoute sans fausse modestie celle qui a remporté plusieurs bourses au cours de ses 30 ans de peinture, dont le prix d'excellence en création du Conseil des arts et lettres du Québec, en 2006. «Mais parfois, peindre ne me suffit pas et je ne peux pas faire autrement qu'écrire. Quand j'écris, je pleure, je rage, je marche, j'ai chaud, j'ai froid, dit-elle en riant. Quand on écrit, on va chercher des secrets, on se dévoile...» Un recueil de poèmes et deux romans plus tard, son besoin de l'écriture persiste.

Elle est née à Rapides-des-Cèdres en 1951 d'un père québécois métissé (mi-Bordeleau, mi-Amérindien) et d'une mère crie. «Bref, je suis une Québécoise type», dit-elle en riant. C'est d'abord en s'inspirant de son père qu'elle a commencé à écrire L'amant du lac: «Mais mon roman était beaucoup plus long, il racontait la vie de mon papa, de tout jeune à très vieux. C'est Rodney [Saint-Éloi, des éditions Mémoire d'encrier] qui m'a dit: Coupe ton roman en deux, raconte-nous la vie du jeune Gabriel, et tourne ton texte vers le sensuel, tu peux le faire. Rodney avait raison. Il y a la guerre et un viol dans mon roman, mais la sexualité, c'est l'humanité, c'est le plus proche qu'on peut être d'un autre être humain...»

Les tableaux de Virginia Pésémapéo Bordeleau sont vibrants de couleurs et de vie - le tableau en couverture du L'amant du lac et les esquisses qui jalonnent ses 280 pages en témoignent. La voix même de l'artiste est constamment parcourue d'un beau rire. Et pourtant, au cours des dernières années, Virginia a enterré une soeur morte à 40 ans, perdu son fils Simon en novembre dernier, et son frère aîné s'apprête à revivre ses souvenirs d'enfance douloureux dans un pensionnat amérindien devant la Commission de témoignage et de réconciliation du Canada. On est bien loin de l'érotisme...

«Non, c'est la vie: parfois ça fait mal, parfois ça fait chaud, dit Virginia. Tenez, deux matins de suite, je me suis réveillée en me rappelant que j'avais rêvé de mon fils, de mon beau Simon, qui me disait: Continue à peindre, maman, continue à écrire, je suis heureux là où je suis. Malgré ma peine, ça m'a apaisée. J'ai repris les pinceaux [elle travaille sur une série de grands tableaux, Le silence des aînés, inspirée par les Algonquins âgés de Senneterre], j'ai repris la plume... Et j'espère maintenant pouvoir obtenir une résidence d'écriture à Berlin: papa, pendant la guerre, était tombé amoureux d'une Allemande qu'il n'a pu épouser parce que c'était considéré alors comme un acte de connivence avec l'ennemi. J'aimerais bien aller à la rencontre de cette Margot inconnue...», dit Virginia la solaire, l'amante du lac Abitibi.

Extrait L'amant du lac

«La pluie ne venait pas. Le vent se promenait sous les arbres en les flattant par-dessous. Ils frémirent et levèrent très haut leurs feuillages comme les filles leurs jupes pour les amants. Alors le vent s'excita, monta plus haut, redescendit et remonta maintes et maintes fois, souffla plus fort et renversa les feuilles ruisselantes de la rosée du matin. Le plus attentif des oiseaux était un bruant chanteur. Quand la lumière se pointait sur la colline, il poussait son trille, perché sur une branche d'un pin gris derrière la tente du métis. Il y avait une brèche par où s'infiltrait la lumière et l'oiseau s'égosillait, entonnait un air aussi transparent que du cristal sur les rayons dorés. Il saluait le jour, le soir aussi, se tournait vers le lac quand l'ouest plongeait dans un horizon rouge. Les eaux du lac se teintaient de pourpre, les nuages devenaient des grenats flottant sur le velours assombri du ciel. Les couleurs de son intimité à elle, à Wabougouni, de sa tendresse humide et accueillante. L'éclat orangé du soleil: à peine un point sur la crête des arbres laissant une traînée, comme ses cheveux sur ses épaules. Wabougouni vivait autour de lui, respirait par son souffle, se camouflait même dans le sable chaud sous ses pieds nus.»

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L'amant du lac. Virginia Pésémapéo Bordeleau. Mémoire d'encrier, 280 pages.