D'abord, on est frappé par cette couverture, horrible, où Foglia apparaît comme un vieux Tintin à qui on a jauni la houpette. Il aurait été plus beau dans son plus-blanc-que-blanc naturel, entouré ici par la plume à l'encre de son enfance à l'école républicaine française ; des « d » de bas de casse en plomb, vestiges de son premier métier de typographe qui lui a donné le goût des mots bien placés. À gauche, un chat de sa ménagerie qui n'a que faire de ces considérations esthétiques ; s'éloignant de la droite, la figurine d'un cycliste casqué dont on ne sait pas si, comme le Foglia à cuissard, il prend des petites pilules bleues pour rouler plus vite.

En fond de trame, montés en anciennes colonnes de journal, des extraits non pas d'une chronique du « journaliste québécois le plus marquant des 50 dernières années », mais de l'ouvrage même qui lui est consacré : Foglia l'insolent, l'essai biographique signé Marc-François Bernier. Le lead, le sujet l'a imprimé en plein front : « L'insolence est sans équivoque la marque de commerce de Foglia mais on aurait tort [d'y] réduire son oeuvre [...] »

Une oeuvre, oui, c'est bien de ça qu'il s'agit : 4300 chroniques réparties sur 38 ans, 4,4 millions de mots. Comme dirait un collègue, « c'est du Foglia en ta' ! », mais l'auteur semble avoir lu la totalité de cet immense corpus et c'est là son premier grand mérite. L'autre est d'en avoir analysé et décliné le contenu dans une quinzaine de chapitres qui apparaissent comme autant de facettes du Foglia moraliste - « L'éthicien », « Le moraliste », « L'indigné », « L'athée », « L'olympien », « Le précepteur » - ou du Foglia chroniqueur : « Le styliste », « L'interactionniste », « Le lettré », « Le cycliste », « Le libertaire », « Le matou », « Le vieux ». Belle structure, comme dans la biographie de Jean-Pierre Ferland (Un peu plus haut, un peu plus loin, Éd. de l'Homme, 2012).

La première partie, « L'homme », est la plus biographique, relate l'enfance de Pierre Foglia en France dans une famille d'émigrés italiens, ses pérégrinations typographiques en Europe, son arrivée au Québec en 1963, son évolution dans les cercles indépendantistes de gauche, ses débuts comme journaliste à La Patrie et au Montréal-Matin et son arrivée à La Presse qu'il ne quittera que comme retraité patenté.

Le sous-titre - « Fragments d'une autobiographie non autorisée » - n'est pas juste un bon flash mais révèle la méthode même de l'auteur (pas de « croustillant », toutefois). Hormis une unique entrevue avec son sujet, Marc-François Bernier s'est servi des seules chroniques de Foglia - prononcé « Folia », à l'italienne (le groupe GLI, en italien, ne comporte pas de son dur : fami(g)lia, etc.). Ainsi, la présence du logo de La Presse en quatrième de couverture, nous avons vérifié auprès d'édito, est le résultat d'une entente sur l'utilisation des extraits des chroniques de Foglia qui constituent environ le tiers de l'ouvrage.

Comme toutes les vedettes, Foglia avait ses inconditionnels, qui dévoreront L'insolent, et ses fans éclairés, catégorie dans laquelle il faut compter Bernier qui parle lui-même de son livre comme d'une « synthèse admirative » mais exempte de toute complaisance. Les biais, les contradictions, les égarements sont effectivement soulignés, mais Foglia, à qui on a toujours beaucoup pardonné, trouve encore grâce ici. Début du chapitre « Le précepteur » : « Il a beau nier à répétition et démentir toute prétention morale, cela ne résiste pas à l'analyse. Il y a chez Foglia une esthétique, une éthique et une morale de l'effort. » Foglia « rapaillé », cerné... et tout de suite dédouané par une « triade normative » qui glorifie le travail.

Par ailleurs, un des thèmes récurrents du livre touche la liberté exclusive dont aurait joui Foglia, indépendantiste de gauche, dans un journal familial propriété d'un « milliardaire fédéraliste ». Les positions respectives sont justes, mais il y a plus. Foglia a exercé cette liberté à des limites qu'il a été seul à explorer, vrai, mais d'autres n'avaient aucune réserve à exprimer leurs penchants nationalistes. Pendant 30 ans, Réjean Tremblay, qui n'avait pourtant pas l'arsenal dialectique de l'autre, a fait flotter le fleurdelisé dans sa chronique des Sports. Gérald LeBlanc, qui vient de mourir, est un autre exemple.

Bernier erre aussi quand il assimile la position de Foglia, émule d'Alexandre Vialatte, à celle d'Alain Dubuc ou de Lysiane Gagnon, qui, eux, travaillent à l'éditorial, section du journal où, traditionnellement, s'expriment les orientations reconnues des propriétaires. On accepterait la chose du lecteur moyen ou d'un détracteur de mauvaise foi, mais qu'un ancien journaliste devenu prof d'éthique journalistique ignore cette distinction, voilà qui est plus surprenant.

Rien toutefois pour gâcher le plaisir de la (re)découverte de Pierre Foglia, vieux lapin à pédales et « moraliste de la modernité » qui n'entrera jamais tout entier dans un seul casseau.

Foglia l'insolent, Marc-François Bernier, Édito, 352 pages, *** 1/2