On avait beaucoup d'attentes envers Polyglotte, la nouvelle création d'Olivier Choinière, présentée au Festival TransAmériques (FTA). Une pièce post-Charte des valeurs mettant en scène une dizaine d'immigrants, d'origines diverses. Et tous défendus par des non-acteurs, résidants du quartier Villeray, là où loge le théâtre Aux Écuries.

Hélas! L'auteur d'Ennemi public et de Mommy brosse un portrait trop en surface de la réalité canadienne à l'ère du métissage. Malgré quelques bons moments, le spectacle s'éternise comme une cérémonie d'assermentation à un pays fictif, éculé, carburant uniquement aux clichés.

À l'origine de la pièce de Choinière, son désir d'intégrer la réalité des immigrants à l'offre théâtrale locale. Le metteur en scène s'est aussi inspiré de cours de conversation sur disques, enregistrés en français et en anglais à la fin des années 60. Ce matériel a servi au montage d'une sorte de jeu-questionnaire pour les candidats à la citoyenneté canadienne.

On les interroge dans les deux langues officielles sur le climat, le hockey, l'histoire, les politiciens... De sa belle voix radio-canadienne, Henri Bergeron étale nos us et coutumes, tel un Big Brother laissant peu de place à l'interprétation, encore moins à la dissidence. Car ce pays prônant le multiculturalisme et la liberté d'expression s'acharne à tisser les nouveaux arrivants dans une fibre patriotique artificielle et archaïque. Si l'exercice est amusant, il devient vite répétitif.

Dans une autre scène, les protagonistes lisent à tour de rôle des citations projetées à l'arrière-scène. Choinière a amassé un florilège de perles tirées de l'actualité du Québec: des propos xénophobes entendus lors du débat sur la Charte aux quolibets du matricule 728 envers «les gratteux de guitare du Plateau»; des déclarations d'austérité du gouvernement Couillard à celles de la gauche pro-Péladeau. Or, chaque mot sonne faux et inventé dans la bouche des immigrants.

Étrange paradoxe. Ces gens qu'on dit vouloir inclure et mouler à nos valeurs sont totalement exclus du débat public.

Un pays, plusieurs solitudes

À quoi ressemble le Canada? À l'image idyllique que s'en font ses nouveaux arrivants, confortés par le discours officiel du gouvernement? À la vision critique, voire alarmiste, d'Olivier Choinière, celle de l'intelligentsia artistique de gauche?

Polyglotte demeure impuissant à réunir ces deux visions aux antipodes, parce que la pièce se nourrit de clichés et d'idées reçues sur le Canada. On est loin du travail de Mani Soleymanlou qui, avec Trois, secouait nos certitudes et nos préjugés.

C'est peut-être aussi parce que la réalité se loge quelque part entre le rejet et le rêve, entre la détresse et l'enchantement, pour reprendre la formule de Gabrielle Roy, qui en connaissait un peu plus sur le Canada que l'auteur de Polyglotte

Permettez-nous une suggestion à la relève du théâtre de Dubé ou de Tremblay. Pour construire un pont «entre eux et nous», le théâtre québécois n'a pas besoin de flirter avec la sociologie ni l'anthropologie. Un auteur peut simplement écrire une histoire sur la diversité culturelle montréalaise, puis demander à de véritables interprètes issus de l'immigration - qui peinent à trouver du travail sur les planches - de jouer des personnages proches de leur réalité.

Malheureusement, avec ce projet, Choinière n'arrive pas à combler le «grand écart» entre le point de vue des immigrants et le sien. Encore moins avec celui du public.

* * 1/2

Polyglotte. D'Olivier Choinière, comise en scène avec Alexia Bürger. Aux Écuries, jusqu'au 4 juin.