Tous les deux ans, Venise est prise d'assaut par des artistes de partout au monde qui secouent les idées reçues et expriment leurs origines les plus diverses. On a entendu parler du trio québécois BGL, qui représente le Canada avec une réflexion déjantée intitulée Canadassimo, sur la société de consommation. Mais la Biennale propose, jusqu'au 22 novembre, des centaines d'autres créations un peu partout dans la ville.

LE PAVILLON FRANÇAIS

Le grand artiste français Céleste Boursier-Mougenot, dont on verra le travail à l'automne au Musée des beaux-arts de Montréal, surprend les visiteurs avant même qu'ils n'entrent dans le pavillon puisque son oeuvre, Rêvolutions, commence à l'extérieur avec un immense arbre autonome, qui a l'air d'avoir été déterré avec ses racines et assez de terre pour survivre, mais dont on découvre rapidement qu'il bouge tout seul. L'effet se poursuit à l'intérieur du pavillon avec deux arbres qui se promènent très discrètement sous une verrière. On pense aux orangeries du temps des rois, où les arbres étaient déplacés pour l'hiver, on rit de l'absurdité du déracinement, on s'installe sur des coussins posés au sol pour regarder ces plantes géantes glisser doucement, pour se laisser porter par la simplicité grandiose et brillante de ce regard porté par l'artiste sur la nature au XXIe siècle.

LE PAVILLON JAPONAIS

Tout le pavillon japonais est consacré à La clé dans la main de Chiaru Chiota, artiste de 43 ans née à Osaka et établie à Berlin. Réflexion sur la mémoire et le symbolisme de la clé comme gardienne de nos pensées et de notre bagage personnel, l'installation est formée de centaines de mètres de fil rouge délicatement entrelacés pour former de vastes mais légères structures éphémères suspendues au plafond. À ces fils sont attachées des clés de métal à l'ancienne tandis que le centre de la pièce est occupé par deux bateaux qui semblent prêts à prendre le large. Des vidéos d'enfants parlant des souvenirs complètent l'oeuvre. Mais avant même de commencer à comprendre la démarche de l'artiste, c'est l'immense beauté de l'installation qui bouleverse le spectateur. On se laisse englober par ces nuages de dentelle rouge aux clés qui laissent passer la lumière en créant un univers qu'on ne veut plus quitter.

LE PAVILLON BRITANNIQUE

Le pavillon de la Grande-Bretagne a été confié à l'artiste Sarah Lucas, une de ces Young British Artists des années 90 qui ont marqué le paysage artistique contemporain. À Venise, Lucas a peint l'intérieur du pavillon en jaune et propose des sculptures remplies de références sexuelles et anatomiques choquantes, drôles, jamais banales, qui nous transportent dans un univers sculptural éclaté. On pense à Henry Moore devant cet organe masculin géant jaune citron qui accueille les visiteurs à l'entrée, tout comme on sourit devant les références à la sculpture classique de ces personnages coupés qui fument des cigarettes par leurs différents orifices. On en sort secoué, perplexe, rempli de questions ou de dégoût. Bref, de l'art qui dérange.

LE PAVILLON ARMÉNIEN

Gagnant du Lion d'or du meilleur pavillon national, Armenity de la commissaire Adelina de Fürstenberg est une exposition assemblant les oeuvres de 16 artistes issus de la diaspora arménienne, donc de petits-enfants de survivants du génocide dont on marque cette année le 100e anniversaire. Il s'agit ainsi d'artistes autant français que libanais, égyptiens ou américains, qui ont en commun leurs origines et leur identité arménienne. L'exposition est présentée dans l'île de San Lazzaro, à l'extérieur des circuits habituels, là où se trouve un monastère fondé par le moine Mekhitar, centre névralgique de la préservation et de la diffusion de cette culture arménienne confrontée aux pires atrocités au début du XXe siècle. Pour se rendre dans cette petite île, on doit prendre un vaporetto spécial, ce qui ajoute à l'expérience qui se veut une réflexion sur la justice, la mémoire, ainsi que la poursuite de la construction contemporaine de cette nationalité.

L'ARSENAL ET LE PAVILLON CENTRAL

Les expositions du pavillon central et de l'Arsenal permettent de saisir l'esprit éclectique de la Biennale. Entre des oeuvres d'artistes réputés comme l'Allemand George Baselitz ou le Britannique Chris Offili se faufilent des créations de jeunes photographes ou sculpteurs moins connus, avec des oeuvres non moins spectaculaires comme le voile ondulant de portraits photo de Kutlug Ataman ou l'installation Untitled Trumpet de l'Allemande Katharina Gross. On s'attarde aux portraits éclatés de l'Américaine Lorna Smith ou on s'arrête devant la vidéo de l'Algérien Adel Abdessemed, qui montre comment il a écrit «Ainsi parlait Allah» sur une toile: en se faisant lancer dans les airs avec un crayon, à partir d'un tapis secoué par six hommes... Évidemment, il ne faut pas rater les réflexions sur la précarité et l'essence éphémère de la vie par l'artiste américaine Adrian Piper, qui a gagné le Lion d'or de la meilleure artiste à la Biennale.