Sans tambour ni trompette, les égouts des municipalités québécoises débordent dans les cours d'eau des dizaines de milliers de fois chaque année, ce qui représente un volume d'eaux usées bien plus élevé que le déversement controversé prévu par Montréal dans deux semaines. Mais puisque la pluie est la principale coupable de ces rejets sous-estimés, leurs contenus sont moins concentrés en coliformes fécaux.

Sur les 45 512 débordements d'égouts rapportés au Québec en 2013, seuls 1314 l'ont été à Montréal, indique le rapport Évaluation de performance des ouvrages municipaux d'assainissement des eaux pour l'année 2013 du ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire (MAMOT), publié en juillet 2014.

En comparaison, Québec a subi deux fois plus de débordements que la métropole (2818) et Saguenay, presque trois fois plus (3371). Même de petites villes comme Alma et Chandler en ont rapporté plus de 700. À noter qu'un débordement est comptabilisé pour chaque jour civil, peu importe sa durée.

Le document ne précise toutefois pas quelle quantité d'eaux usées a pu disparaître dans la nature en raison de ces débordements d'égouts. Selon Abdelaziz Gherrou, chercheur spécialisé dans le traitement des eaux usées au Centre des technologies de l'eau de Montréal, il est impossible d'obtenir le chiffre exact avec ces données. «Si on additionne tous les déversements, les 45 000, on va trouver un volume énorme. C'est sûr que c'est plus grand que ce qui va être déversé durant la semaine [les 8 milliards de litres à Montréal].»

Au Québec, la grande majorité des débordements sont causés par la pluie (27 791) et la fonte de la neige (8774). Dans la métropole, à peine 14% des débordements sont survenus pour d'autres raisons, par exemple des travaux d'urgence. Autre point positif pour le bilan montréalais: les débordements durent en moyenne 4 heures (5112 heures pour l'année entière), soit bien moins que la moyenne québécoise.

Nouveaux bassins

La Ville de Montréal mise beaucoup sur la construction de nouveaux bassins de rétention d'eaux usées pour diminuer le nombre de débordements. Le bassin Marc-Aurèle-Fortin, dans l'est de l'île, par exemple, pourra contenir 4000 m3 (soit 4 millions de litres) d'eau lors de fortes pluies, à sa mise en service l'an prochain. Montréal prévoit ainsi investir 26,4 millions dans son Programme triennal d'immobilisations 2015-2017 pour quatre ouvrages de rétention.

«On ne dit pas qu'on va être capable de tout capter, mais on va être capable de réduire les épisodes [de débordement] de manière très importante», affirme Philippe Sabourin, porte-parole de la Ville.

Un rapport publié hier en catimini

Sous pression toute la journée à l'Assemblée nationale, le ministre de l'Environnement David Heurtel a finalement publié hier soir sur le web l'analyse des considérations environnementales qui a permis de donner le feu vert au déversement de 8 milliards de litres d'eaux usées dans le Saint-Laurent. Or, il ne s'agit pas des études menées par la Ville de Montréal. «Après avoir analysé 

le dossier présenté» par Montréal, le Ministère conclut dans le document de 43 pages, daté du 8 octobre, que la «solution proposée n'est pas idéale, mais qu'elle est la meilleure dans les circonstances». On retrouve bien peu de bémols dans l'analyse du projet controversé dans ce rapport. Par exemple, une seule page porte sur la faune aquatique et elle renvoie essentiellement à un rapport scientifique gouvernemental de 2004. «Les impacts du projet seraient raisonnablement atténués pour la faune aquatique si les déversements étaient restreints à la période du 1er octobre au 15 décembre», conclut-on. Pressé par les partis de l'opposition de rendre publiques les analyses menées par ses fonctionnaires, le ministre Heurtel avait indiqué hier en Chambre que son ministère s'était basé dans une large mesure sur des analyses fournies par la Ville de Montréal. «La documentation fondamentale provient de la Ville, a expliqué M. Heurtel. La Ville propose un projet, on analyse la documentation fournie par la Ville.»

- Louis-Samuel Perron et Martin Croteau