La Commission des droits de la personne lance une sérieuse mise en garde au gouvernement péquiste. Sa réforme de l'aide sociale est « susceptible de contrevenir à plusieurs droits protégés par la Charte des droits et libertés», une loi quasi constitutionnelle.

Dans un avis de 40 pages rendu public aujourd'hui, elle lui demande carrément d'y renoncer.

Parmi les droits menacés: le droit à la vie, à l'intégrité physique et psychologique, à l'égalité, la sauvegarde de sa dignité, la sécurité et aux mesures d'assistance financière susceptibles d'assurer un niveau de vie décent.

Cette critique s'ajoute à celle formulée la semaine dernière par la Protectrice du citoyen.

La ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Agnès Maltais, a publié un avant-projet de règlement à la fin février pour modifier l'aide sociale. Elle propose d'y annuler l'allocation spéciale mensuelle de 129 dollars pour contraintes temporaires à l'emploi aux parents d'un enfant de moins de cinq ans et aux gens de 55 à 58 ans. Ils ne recevront donc que les 604 dollars de base. Pour les assistés sociaux toxicomanes, la durée d'un séjour dans un centre de désintoxication est limitée à 90 jours par année. Ils reçoivent l'allocation spéciale durant cette période. Québec prévoit épargner ainsi 20 millions de dollars par année.

Mme Maltais insiste que sa réforme aidera les assistés sociaux en les réintégrant sur le marché de l'emploi, la meilleure façon selon elle de sortir de la précarité. Elle leur proposera une allocation additionnelle de 196 dollars, durant une durée indéterminée, s'ils participent au programme « Tous pour l'emploi ».

Les assistés sociaux restent sceptiques.

Les mesures d'aide à l'emploi sont «louables», dit la Commission. Mais on ne doit pas abandonner pour autant les allocations spéciales. «Un niveau de vie décent, garanti au besoin par des mesures sociales, est un prérequis à l'exercice effectif des droits et libertés de la personne qui ne peut être conditionné par des mesures d'aide à l'emploi», écrit-elle dans son avis.

En interview, son président Gaétan Cousineau rappelle qu'une mesure temporaire d'aide à l'emploi ne peut remplacer une allocation spéciale, qui vise à protéger des droits. « Les deux doivent s'additionner.L'une ne peut remplacer l'autre», soutient-il.

« C'est exactement ce qu'on a essayé d'expliquer à la ministre Maltais », renchérit Amélie Châteauneuf, du Front commun des personnes assistées sociales. Elle déplore que depuis sa rencontre avec la ministre au début mars, son groupe n'a pas réussi à rencontrer le cabinet de la ministre. « C'est un peu la guerre », déplore-t-elle.

Maltais ne comprend pas

Mme Maltais dit qu'elle va «prendre connaissance avec intérêt» des critiques de la Commission, mais elle ne les comprend pas. Elle rappelle que des juristes ont rédigé le projet de règlement, et qu'ils n'y ont pas vu de violation de droits. «Il s'avère évident que (la Commission) n'a pas pris connaissance des améliorations que j'ai déjà annoncées concernant la désintoxication. Par ailleurs, la Commission base son analyse sur le taux d'emploi des 55 ans et plus. Or, les mesures réglementaires ne visent que les personnes de 55 à 58ans, dont le taux d'emploi est passé de 50,2 % en 1989 à 65,2 % en 2012», a-t-elle réagi par voie de communiqué.

«Une discrimination demeure pour ces gens sur le marché du travail», rappelle par contre M. Cousineau. Il explique que la fin de cette allocation temporaire peut être «doublement discriminatoire» pour certaines personnes, comme les femmes immigrantes.

La Coalition avenir Québec y voit une preuve que le projet de règlement péquiste serait improvisé. «Mme Maltais devrait faire des études d'impact lorsqu'elle parle de ce qui se passe à l'aide sociale.

Visiblement, elle ne l'a pas fait. Elle l'a annoncé en catimini», a indiqué son député Sylvain Lévesque.