Le gouvernement du Québec analyse la possibilité d'imposer aux firmes de génie-conseil l'obligation d'obtenir une homologation en matière d'éthique pour brasser des affaires dans le secteur public. Ce sceau de qualité serait émis par l'Ordre des ingénieurs, a appris La Presse.

Le Conseil exécutif ainsi que le ministère de la Justice réfléchissent à ce changement afin de juguler la crise de confiance qui risque d'avoir des répercussions majeures sur la santé commerciale des grandes firmes de génie et des conséquences sur l'économie québécoise tout entière. L'implication des firmes SNC-Lavalin, Dessau, Tecsult-Aecom, BPR, Roche, Génivar et autres dans des stratagèmes de collusion à grande échelle révélée devant la commission Charbonneau inquiète le gouvernement.

Déjà, l'Ordre des ingénieurs a lancé il y a deux semaines un programme d'audit sur les pratiques d'affaires des firmes de génie-conseil. Depuis sa création en 1964, le mécanisme de protection du public qu'est l'Ordre des ingénieurs a toujours limité sa surveillance aux actes professionnels des individus et non pas des entreprises. Or, ce programme pourrait servir de rampe de lancement pour un encadrement accru des firmes de génie, qui obtiendraient ainsi une homologation en matière d'éthique.

Garantie de probité

L'idée d'assujettir les firmes aux mêmes règles de déontologie que les ingénieurs chemine dans les officines gouvernementales depuis au moins deux ans. L'ex-présidente du Conseil du Trésor, Michelle Courchesne, s'était montrée favorable à un tel changement, mais il impliquait des changements législatifs profonds auxquels le gouvernement libéral ne souhaitait pas s'attaquer. Si l'Ordre des ingénieurs devait avoir un droit de regard sur les firmes de génie, cela pourrait avoir un impact sur les autres ordres professionnels - ceux des avocats ou des comptables, par exemple - susceptible d'entraîner une révision de la responsabilité professionnelle des entreprises.

Il semble que le gouvernement de Pauline Marois envisage plutôt des modifications plus simples. «On vérifie si c'est possible d'agir par décret», a expliqué à La Presse une personne bien au fait du dossier.

En avril dernier, l'Ordre des ingénieurs a fait appel à un lobbyiste, l'ancien ministre péquiste Pierre Bélanger, aujourd'hui chez National, pour sensibiliser le gouvernement à «un meilleur contrôle sur les firmes de génie». Selon le registre des lobbyistes, M. Bélanger a reçu le mandat de convaincre le gouvernement de réviser la Loi sur les ingénieurs pour l'adapter «à la pratique contemporaine du génie pour assurer la protection du public».

Selon le directeur général de l'Ordre des ingénieurs, André Rainville, le programme mis en place permettrait aux firmes d'obtenir une garantie de probité qui complèterait leur expertise et servirait de carte de visite. «Les sociétés ont décidé de prendre le virage éthique. Elles vont vendre leur intégrité. À terme, c'est la population qui va en bénéficier», croit M. Rainville.

Grogne

Pour assumer ces nouvelles responsabilités, l'Ordre réclame de ses membres une augmentation substantielle (100$ de plus) de leur cotisation annuelle, qui totalise 6 millions. La proposition sera soumise ce soir à l'assemblée générale à laquelle sont convoqués les quelque 60 000 ingénieurs.

Cette hausse de 32% de la cotisation provoque beaucoup de grogne chez les ingénieurs. Certains y voient une «amende de 100$» imposée à l'ensemble des membres de l'Ordre pour redorer le blason de certains qui ont agi illégalement, tout ça dans le but avoué de mériter de nouveau la confiance du public. D'autres estiment que l'Ordre des ingénieurs a démontré son incapacité à sanctionner «les responsables de la détérioration de l'image».

Selon André Rainville, qui rejette les soupçons à l'effet que l'Ordre aurait fait un appel dirigé pour mobiliser les ingénieurs favorables à la hausse, cette augmentation de la cotisation est nécessaire. «Pour un petit 100 piastres, on va faire tout un plat? Quand un avion se retrouve dans une spirale dangereuse, ce n'est pas le temps de faire de l'économie d'essence. Il faut mettre plein gaz», lance M. Rainville.

À terme, le programme d'audit va s'autofinancer, insiste-t-il. Mais d'ici là, l'Ordre devra en assumer la mise en place, ce qui implique l'ajout de ressources dans l'équipe d'enquête du syndic.