Alors qu'il s'apprête à déposer un rapport accablant sur les dépenses des sénateurs, le vérificateur général Michael Ferguson se voit forcé de justifier des milliers de dollars de dépenses provenant de son bureau au cours des quatre dernières années.

Une compilation des dépenses effectuée par La Presse et CTV démontre que le bureau de M. Ferguson n'a pas lésiné sur les moyens pour changer les idées de ses employés, souligner la contribution de certains collègues ou encore marquer le départ d'autres employés.

Le bureau du vérificateur général, qui est le chien de garde de l'argent des contribuables, a notamment dépensé quelque 23 048$ depuis 2011 pour l'organisation de «rencontres» dans des endroits tels que Funhaven, un centre de divertissement pour enfants, une salle de quilles (Merivale Bowling), un club de curling (Rideau Curling Club) ou encore un site récréotouristique

(Parc Laflèche).

Au moins une trentaine d'employés étaient invités à chacune de ces «réunions» convoquées par l'un des vérificateurs généraux adjoints de M. Ferguson.

La visite chez Funhaven, où l'on peut organiser notamment des fêtes pour enfants, semble avoir été un franc succès: les employés du bureau du vérificateur général s'y sont rendus à trois reprises entre 2012 et 2014. La facture totale refilée aux contribuables pour ces trois visites s'élève à quelque 6049$, selon des informations colligées à partir des déclarations proactives mises en ligne par le bureau du vérificateur général.

Mais l'une des dépenses encourues chez Funhaven a été modifiée sur le site internet après que l'on a commencé à poser des questions à ce sujet, le 11 mai. La réclamation de 2348$ pour servir le «petit-déjeuner, le déjeuner et des rafraîchissements dans le cadre d'une réunion d'équipe de 27 personnes» a soudainement été corrigée à la baisse pour atteindre 1218$.

Deux fois plutôt qu'une

En passant au peigne fin les dépenses du bureau du vérificateur général, il a été possible d'apprendre que l'ancienne vérificatrice générale Sheila Fraser, devenue une véritable héroïne après son enquête sur le scandale des commandites qui a éclaboussé l'ancien gouvernement libéral de Jean Chrétien, a eu droit à deux réceptions pour marquer son départ.

La première a eu lieu le 24 mai 2011 au Centre des congrès d'Ottawa. En tout, 632 personnes ont assisté à la réception qui a coûté 17 199$ aux contribuables.

Une semaine plus tard, une seconde réception, plus intime, a été organisée au Rideau Club. Seulement 16 personnes avaient reçu une invitation à ce chic restaurant du centre-ville. Mais la facture était tout de même salée: 2027$, soit environ 126$ par personne. Cela contrevient aux règles du Conseil du trésor portant sur les frais d'accueil, qui ne pouvaient à l'époque dépasser la somme de 104$ par personne dans le cas d'un dîner. Ces mêmes règles interdisent l'achat d'alcool, sauf dans de rares exceptions lorsqu'il s'agit d'une question de «courtoisie, de diplomatie ou de protocole».

Le vérificateur général Michael Ferguson a lui-même soumis une facture de 1165$ pour un dîner au restaurant Al's Steakhouse d'Ottawa le 18 janvier 2012 afin de marquer le départ d'employés à la longue feuille de route. En tout, 15 personnes ont cassé la croûte lors de ce repas.

Dans le passé, le bureau du vérificateur général a souvent mis au jour des dépenses douteuses de ministères ou d'agences du gouvernement.

Dans un rapport déposé au printemps, il a d'ailleurs critiqué le bureau de l'ombudsman du ministère de la Défense nationale pour avoir omis de respecter certaines règles concernant les frais de déplacement et les frais d'accueil.

Pour souder l'équipe

En entrevue hier soir, Michael Ferguson a soutenu que les réunions d'équipe visent à souder les employés entre eux et à augmenter leur attachement au bureau du vérificateur général. Il a affirmé que ces dépenses sont raisonnables puisqu'elles s'élèvent en moyenne à 50$ par employé par année.

«La moitié de la journée est du travail et l'autre moitié vise à souder les équipes. Nous sommes prudents dans le choix des endroits afin de nous assurer d'obtenir un bon prix. Il se trouve que les sites retenus offraient des locaux suffisamment grands et à bon prix pour organiser ces événements», a-t-il déclaré.

«Les entreprises en question sont des entreprises légitimes de la région d'Ottawa qui offrent ce genre de services aux employés et aux employeurs. «[...] Je ne crois pas qu'il s'agisse de dépenses excessives», a-t-il ajouté.

Des activités payées par le bureau du vérificateur

Des réunions à la caverne LaFlèche en Outaouais

À deux reprises en 2012, une trentaine d'employés du bureau du vérificateur général ont été conviés à «une réunion d'équipe» au parc Laflèche, à Val-des-Monts, en Outaouais. La première sortie (1303$) a eu lieu en mars et la deuxième (1150$), en septembre. Le hic, c'est qu'il est plutôt difficile d'y organiser des réunions. Car à cet endroit, on peut surtout visiter la plus grande caverne du Bouclier canadien ou encore faire un parcours dans les arbres à l'aide de tyroliennes.

Du curling à Ottawa

En mai 2014, le vérificateur général adjoint Maurice Laplante a proposé de réunir une équipe de 57 employés au Rideau Curling Club d'Ottawa. Une facture de 1681$ a été refilée aux contribuables pour cette journée. Le club se targue de présenter une surface de haute qualité et des pierres en bon état. Et peu importe où l'on choisit de s'asseoir, on peut avoir une bonne vision du jeu.

Au Moulin de Wakefield

En octobre 2014, 37 employés ont pu passer la journée au Moulin de Wakefield, un centre de villégiature de l'Outaouais situé à 36 kilomètres de la capitale nationale. «Le Moulin Wakefield Hôtel&Spa vous offre une escapade de rêve unique. Située à proximité d'Ottawa au coeur du parc de la Gatineau, cette auberge de luxe et spa boutique jumelle le charme et le confort à l'histoire et à la splendeur panoramique», peut-on lire sur le site web du Moulin. En tout, cette journé a coûté 2186$ aux contribuables.

Visite à la ferme Saunders

En septembre 2013, une réunion d'équipe a été organisée à la ferme Saunders. Il s'agit d'une destination touristique populaire de la région d'Ottawa durant l'été. Il est possible d'y faire une promenade avec des chevaux et de s'introduire dans un labyrinthe formé de cèdres de plus de sept pieds de hauteur, entre autres choses. La réunion d'équipe de 33 personnes convoquée à cet endroit a coûté 1710$ aux contribuables.

Le mandat du VG

Le poste du vérificateur général du Canada est l'un des plus importants au sein de l'appareil de l'État. Il est un agent du Parlement et il est nommé pour une période non renouvelable de 10 ans. Sa nomination doit être approuvée par la Chambre des communes et le Sénat. Son mandat est de passer au peigne fin les dépenses des ministères et des organismes fédéraux, la plupart des sociétés d'État et autres organisations fédérales. Son rapport est déposé au Parlement. Le vérificateur général du Canada scrute aussi à la loupe les dépenses des gouvernements du Nunavut, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest.

Examiné par ses pairs

Le bureau du vérificateur général fait évaluer ses travaux par des auditeurs externes indépendants. Mais cela n'arrive pas chaque année. La dernière fois, c'était en 2009, quand un comité international de pairs mené par l'Australian National Audit Office a examiné le travail du bureau du vérificateur général. En 2003, une équipe internationale de pairs, dirigée par le National Audit Office du Royaume-Uni, a aussi effectué un examen des pratiques d'audit de performance.