La démission du député albertain Brent Rathgeber reflète une grogne répandue au sein des troupes conservatrices à l'égard de l'entourage du premier ministre Stephen Harper.

«Il est difficile pour un libre-penseur - et j'aime croire que je suis moyennement intelligent - d'être constamment dirigé par des employés non élus qui ont la moitié de mon âge», a déclaré le député d'Edmonton-St. Albert qui siègera désormais comme indépendant.

Plusieurs conservateurs contactés hier ont réagi à cette démission du caucus de leur parti en dénonçant eux aussi le pouvoir démesuré qu'exerce le personnel non élu du premier ministre sur les élus du Parlement.

«L'entourage du premier ministre est devenu toxique à Ottawa pour les ministres, les députés et la fonction publique», a affirmé une source conservatrice, qui a requis l'anonymat.

«Les gens dans le cabinet du premier ministre [...] sont tellement farouches, fanatiques et partisans qu'ils pensent que c'est comme ça qu'il faut contrôler tout le monde», a renchéri Peter White, un militant québécois qui entretient des relations houleuses avec la direction du parti.

M. Rathberger a claqué la porte du caucus conservateur mercredi soir. Le gouvernement venait d'imposer des changements à son projet de loi qui vise à forcer la divulgation de salaires et de dépenses des dirigeants de la fonction publique et des sociétés d'État.

«J'ai rejoint le mouvement réformiste/conservateur parce que je croyais que nous étions différents, une bande d'«outsiders» arrivant en ville pour nettoyer la place, faisant la promotion du gouvernement ouvert et de la responsabilisation. Je nous reconnais à peine, et pire, je crains que nous nous soyons métamorphosés en ce dont nous nous moquions», a écrit le député sur son blogue, faisant allusion au scandale du Sénat qui ébranle actuellement les troupes de Stephen Harper.

L'ancien ministre Michael Fortier se souvient que l'encadrement de l'entourage du premier ministre lui avait parfois paru «lourd», bien qu'il jouissait d'une certaine latitude. Cette discipline de fer a pu heurter plusieurs élus, croit-il, et certains profitent aujourd'hui du scandale Duffy pour le faire savoir. «C'est pour eux l'occasion d'ouvrir grand les fenêtres et de faire connaître leur dissidence.»

De jeunes loups qui inquiètent

Des sources ont affirmé que la frustration des députés envers le bureau du premier ministre était contenue lorsque Nigel Wright était chef de cabinet. «Au moins, lorsqu'il était là, on avait l'impression qu'il y avait un adulte dans la shop. Nigel Wright a 50 ans et il avait de l'expérience. Ceux qui restent sont des jeunes qui sont incapables d'entretenir des relations subtiles avec d'autres êtres humains», a dit l'une d'elles.

Plusieurs ont identifié Jenni Byrne, la directrice des opérations au Parti conservateur du Canada, comme étant l'une des causes de la frustration dans les rangs conservateurs. Mme Byrne, âgée de 36 ans, est reconnue pour son approche musclée. «C'est la pire de toutes», a tranché une source.

Le nouveau chef de cabinet de Stephen Harper, Ray Novak, n'a que 36 ans. De mémoire, il est le plus jeune bras droit jamais embauché par un premier ministre pour le seconder dans la gestion des affaires quotidiennes de l'État.

Ces dissensions - et d'autres - testeront l'unité du Parti conservateur lors du prochain congrès qui aura lieu à Calgary du 27 au 29 juin. Un groupe de militants souhaite modifier la formule de sélection du prochain chef. La formule actuelle accorde un poids égal à chaque circonscription. On souhaite plutôt accorder un vote à chaque membre, ce qui avantagerait les membres de l'Ouest canadien.

Le ministre de la Défense et député néo-écossais Peter MacKay s'y oppose farouchement. Cet architecte de la fusion des progressistes-conservateurs avec l'Alliance canadienne a même évoqué l'idée de quitter la formation si l'amendement était adopté.

«Si on se veut un parti national, si on veut prendre le pouvoir avec des votes de partout au pays, il faut tenir compte de l'avis des membres partout au pays», estime quant à lui Michael Fortier.

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Les multiples visages de la coalition conservatrice

> Conservateurs sociaux/religieux

La droite morale, sociale ou religieuse du Parti conservateur est bien connue pour son combat visant à restreindre le droit à l'avortement. Une motion visant à donner au foetus le statut d'être humain a été battue en septembre malgré l'appui d'une majorité de députés conservateurs. Cette aile a donné du fil à retordre à Stephen Harper ces derniers mois. «Certains membres de cette branche du parti sont si convaincus de leur position sur l'avortement qu'ils sont prêts à défier le leadership du parti, ce qui demande beaucoup de cran, surtout pour un député d'arrière-ban», constate le politologue David Rayside, de l'Université de Toronto.

Figures connues: Stephen Woodworth, Mark Warawa.

>Libertariens/populistes/réformistes

Les héritiers du Parti réformiste souhaitent que l'État soit le moins présent possible. Les élus de cette mouvance, qualifiée de «populiste» par le politologue David Rayside, prêchent la liberté des élus de voter selon leur conscience. «Des députés qui ont été élus avec une philosophie populiste trouvent difficile de travailler dans un environnement où les simples députés n'ont jamais eu une grande liberté, et qui en ont moins que jamais aujourd'hui», constate le co-éditeur de l'ouvrage collectif Conservatism in Canada. Maxime Bernier est sans doute le député québécois le plus proche de cette tendance.

Figure connue: Brent Rathgeber

>Conservateurs pragmatiques/fiscaux

Résolument campés sur la droite du spectre politique, ils sont davantage préoccupés par l'équilibre des finances publiques et la baisse du fardeau fiscal que par les questions sociales. On associe les pragmatiques au gouvernement de Mike Harris, qui a piloté la «révolution du bon sens» en Ontario de 1995 à 2003.

Figures connues: Tony Clement et John Baird, deux ex-ministres du gouvernement Harris.

>Les «Red Tories» ou progressistes-conservateurs

Cette aile regroupe les centristes qui, à l'instar de l'ancien chef progressiste-conservateur Joe Clark, souhaitent que l'État joue un certain rôle dans la conduite des affaires. On les surnomme les «Red Tories», mais ils se font de plus en plus rares depuis que le Parti progressiste-conservateur a fusionné avec l'Alliance canadienne. «Il n'y a à peu près plus de véritables «Red Tories» «, résume le politologue David Rayside. Les «Vieux Bleus» du Québec, ces progressistes-conservateurs de l'ère Mulroney, sont souvent issus de cette tendance. Ils ont été écartés par l'entourage de Stephen Harper depuis son arrivée au pouvoir.

Figures connues: Peter MacKay, Jim Prentice, Scott Brison (maintenant député libéral).