Des membres et ex-membres des Forces armées canadiennes sont au coeur d'une «communauté» d'extrême droite qui fait l'apologie de thèses nazies et de théories du complot, en vantant les «guerriers» et en exaltant le «combat», a appris La Presse.

Baptisé «Table rase», le groupe est étroitement associé à des cours de combat donnés à la base militaire de Valcartier, près de Québec. Table rase s'affiche d'ailleurs ouvertement dans un gymnase des Forces canadiennes, du moins pendant ces ateliers.

Au cours des derniers mois, la page Facebook de la «communauté» a diffusé les propos du militant fasciste québécois Adrien Arcand - qui qualifiait la défaite nazie de 1945 de «plus grande catastrophe des temps modernes» parce qu'elle a ouvert la porte à l'immigration non occidentale - ainsi que de l'officier SS belge Léon Degrelle - qui se désolait du sort de «l'être exceptionnel» qui se sent «éternellement seul».

Dans un tableau, Table rase compare le sort d'un «juif» à celui d'un «catholique» pour déplorer le laxisme du système de justice envers le premier. Dans une infographie, le groupe dépeint le «judaïsme» en démon qui fait un bras de fer contre Jésus de Nazareth. Plusieurs publications sont consacrées à l'éloge d'historiens révisionnistes comme le «courageux» Vincent Reynouard et Ernst Zündel, victime d'une «élite agressive et bien pensante».

Table rase prétend aussi que les attentats du 11 septembre 2001, la tuerie de Charlie Hebdo et le naufrage du Titanic sont des complots fabriqués de toutes pièces. Le journal d'Anne Frank est un faux, alors que les Protocoles des Sages de Sion sont authentiques, suggère la page Facebook du groupe, qui compte près de 1700 abonnés.

Des militaires au centre du groupe

Selon le Registre des entreprises du Québec, l'entité légale «Table rase» appartient à Guillaume Boulanger, qui se décrit en entrevue comme un ancien membre des Voltigeurs de Québec, mais se présente toujours sur son profil LinkedIn comme un soldat d'infanterie au sein des Forces armées canadiennes, ainsi que comme un graphiste. Il est actif sur la page de Table rase.

En entrevue téléphonique, M. Boulanger a commencé par nier être derrière le groupe. «Beaucoup de monde pense ça de par les amis qu'on a en commun, de par le parcours que j'ai suivi et par mon lien avec le design de l'entreprise, a-t-il dit. Mais je ne suis pas officiellement à la tête de Table rase.»

Par la suite, il a indiqué: «On est plusieurs là-dedans. Moi, j'ai souvent donné un coup de main, je mets souvent la main à la pâte.» Il a aussi tenu à dire que si Table rase diffuse des citations de nazis célèbres, le groupe publie «aussi des citations d'Albert Einstein, de Gandhi et de Martin Luther King». «Là-dessus, je pense que ce qui est important, c'est de balancer.»

Plus tard dans la journée, il a envoyé à La Presse un message assurant que son «implication dans Table rase date de l'époque où [il avait] une entreprise de graphisme», ce qui n'est plus le cas. Subséquemment, il a menacé La Presse de poursuites.

Trois «chroniqueurs» publient des vidéos ou des textes sur la page Facebook de Table rase. Un individu présenté comme caporal-chef dans une publication des Voltigeurs de Québec de mai 2014 fait la promotion de l'entraînement, un ancien caporal de la même unité écrit sur l'histoire, alors qu'une femme qui se décrit comme soldate au sein des Forces canadiennes diffuse des vidéos sur des sujets sociaux comme l'école à la maison et le droit de porter des armes.

Plusieurs autres internautes qui revendiquent leur statut de militaire sont actifs sur la page de Table rase.

À la base militaire

En plus de propager des propos d'extrême droite, Table rase est associée à l'organisation d'ateliers d'«emploi du tomahawk au combat», décrit comme un «art martial traditionnel» des peuples occidentaux. Selon la page Facebook des cours, ceux-ci ont été organisés au centre sportif de la base militaire de Valcartier et donnés par le militaire Alexandre Normand. Ce dernier est également actif sur la page Facebook de Table rase.

Des rabais ont été offerts aux militaires et aux membres de Table rase pour la participation aux ateliers. La communauté a aussi assuré la promotion des ateliers et au moins l'un de ceux-ci s'est déroulé sous une affiche de Table rase, révèle son site internet.

En entrevue téléphonique, M. Normand a assuré que les liens entre ses ateliers et Table rase se limitent à un échange de bons procédés: le groupe fait de la publicité pour le cours sur Facebook, alors qu'une affiche est installée dans le gymnase pendant les séances. Il a juré ne fréquenter la page Facebook de Table rase que pour les publications historiques.

«Moi, je vais m'arranger pour corriger le tir et si je vois d'autres personnes qui peuvent être dans des mauvaises situations, je vais m'arranger pour corriger le tir aussi», a-t-il affirmé. Quant aux affiches, «c'est peut-être [lui] qui n'a pas été assez à l'affût à ce niveau-là».

Les prochains cours sont prévus au Barbare Gym, dans la basse-ville de Québec, plutôt qu'à Valcartier. Ces nouvelles installations appartiennent au caporal-chef qui diffuse sur la page de Table rase les vidéos sur l'entraînement. Celui-ci a aussi une entreprise de suppléments alimentaires baptisés «La Légion», dont le slogan est: «Aliments. Suppléments. Grandeur.»

«Aucun commentaire»

Hier, les Forces armées canadiennes (FAC) ont refusé de commenter toute situation précise, dont la présence visuelle du groupe Table rase à la base militaire de Valcartier, se limitant à réitérer leurs politiques de rejet du racisme et de l'intolérance. «Nous ne ferons aucun commentaire sur des cas spécifiques», ont indiqué les Forces. «Les militaires sont tenus de respecter les normes les plus élevées sur le plan de la conduite personnelle et professionnelle, et les militaires des FAC en position de leadership doivent donner l'exemple en ce qui a trait à ces normes», a affirmé l'organisation dans une déclaration écrite. «Les attitudes racistes sont tout à fait contraires à l'éthique militaire et nuisent à l'efficacité du service militaire; par conséquent, tout comportement qui traduit de telles attitudes ne peut être toléré.»

Image tirée de la page Facebook de Table rase

Image tirée de la page Facebook de Table rase