Les pensionnats autochtones étaient au centre d'une politique de génocide culturel élaborée par le gouvernement du Canada, tranche la Commission de vérité et de réconciliation du Canada dans son rapport rendu public mardi.

Après six années passées à sillonner le pays et à rencontrer des victimes de ce triste chapitre de l'histoire canadienne, la commission conclut qu'il reste encore beaucoup à faire pour en arriver à une réelle réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones.

«Le pays a une rare seconde chance pour saisir une opportunité perdue de réconciliation», jugent néanmoins les commissaires.

Le rapport de 382 pages contient 94 recommandations très diverses qui s'adressent à tous les ordres de gouvernement, de même qu'à la population, à l'Église, aux médias et même à des écoles et ordres professionnels.

Ces recommandations vont d'excuses du pape lui-même pour le rôle joué par l'Église catholique romaine dans les sévices infligés aux enfants à l'adoption et la mise en oeuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Elles incluent aussi l'enseignement des réalités et de l'histoire des communautés autochtones dans les écoles et universités, l'adoption d'une nouvelle «proclamation royale de réconciliation» et l'abolition de l'article 43 du Code criminel qui permet au gardien d'un enfant d'utiliser la force pour le corriger.

150 000 pensionnaires



Les pensionnats autochtones ont été actifs pendant plus d'un siècle, d'environ 1870 à 1970. Le dernier établissement financé par le gouvernement fédéral a fermé ses portes à la fin des années 1990.

Plus de 150 000 enfants y ont été séjourné. «La négligence infantile était institutionnalisée et le manque de supervision a créé des situations où les étudiants étaient la proie d'agresseurs sexuels et physiques», souligne le rapport.

La Commission a été créée en 2008 au terme d'une entente à l'amiable d'un important recours collectif. Plus de quatre milliards de dollars ont déjà été versés en guise de dédommagement par le gouvernement fédéral. La Commission se voulait un moyen de créer un espace d'échanges et de dialogue pour favoriser la guérison de ces plaies encore vives.

«Génocide culturel»



Dans leur rapport, les trois commissaires dénoncent sans détour la politique du gouvernement fédéral à l'égard des peuples autochtones, dans le cadre de laquelle ces pensionnats ont été mis en place. « Cette politique était destinée à éliminer les peuples autochtones en tant qu'entités politiques et culturelles distinctes », peut-on lire dans le document.

Le rapport cite le premier ministre John A. Macdonald dans un débat au Parlement : «Quand les écoles sont sur des réserves et que l'enfant habite avec ses parents, qui sont des sauvages; il est entouré de sauvages, et bien qu'il puisse apprendre à lire et à écrire, ses habitudes, son apprentissage et son mode de pensée sont ceux d'un Indien».

Les commissaires concluent que « l'établissement et l'opération de pensionnats autochtones étaient une partie centrale de cette politique, qui ne peut être décrite que comme un génocide culturel ».

Ils recommandent d'ailleurs de «démanteler une culture politique et bureaucratique vieille de plusieurs siècles dans laquelle, trop souvent, les politiques et programmes sont toujours basés sur des notions dépassées d'assimilation».

Relations difficiles



Le rapport souligne que «la réconciliation n'est pas une question de fermer un triste chapitre dans le passé du Canada, il s'agit plutôt d'ouvrir de nouvelles voies de guérison et de réconciliation qui sont forgées dans la vérité et la justice».

Mais beaucoup de travail reste à faire: «La relation entre le gouvernement fédéral et les peuples autochtones se détériore, peut-on lire dans le document. Plutôt que de se diriger vers la réconciliation, il y a eu des conflits qui ont divisé sur les questions de l'éducation des autochtones, le bien-être des enfants et la justice.»

«La promesse d'une réconciliation, qui semblait si imminente en 2008 quand le premier ministre au nom des Canadiens s'est excusé auprès des survivants, s'est estompée.»

Les relations au sein de la population sont elles aussi imparfaites. «La relation entre les peuples autochtones et non autochtones n'en est pas une de respect mutuel», affirment les commissaires.

«Mais nous croyons que nous pouvons y arriver, et nous croyons que nous pouvons la maintenir. Notre ambition est de montrer comment nous pouvons y arriver.»