La démocratisation des imprimantes 3D emballerait certains djihadistes, qui entrevoient déjà, avec les armes en plastique, une façon de détourner un avion. Rien pour rassurer Transports Canada et l'agence chargée de la sûreté des aéroports canadiens, qui a décidé depuis de mener des tests de détection, a appris La Presse.

En avril dernier, la Direction de l'évaluation du renseignement de sûreté de Transports Canada a étudié l'impact de l'impression d'armes de poing en 3D sur la sûreté de l'aviation et son accessibilité auprès d'individus aux sombres projets.

Le document, classé «secret», obtenu par La Presse grâce à la Loi sur l'accès à l'information se préoccupe de cette «nouvelle tactique» et surtout de la publicité qui lui est faite sur un «forum extrémiste»: «Le djihadiste discutait du nombre de possibilités d'utilisation, incluant celle de détourner un avion», est-il écrit. De plus, les lecteurs étaient encouragés à transmettre ces informations «à tous les responsables de la fabrication de matériel militaire sur tous les fronts du djihad islamique dans le monde musulman».

Le même message sur le forum djihadiste renvoyait vers le site internet de l'organisme Defense Distributed, géré par le militant américain Cody Wilson, ardent défenseur du libre accès aux armes à feu.

Cet étudiant de l'Université du Texas venait de mettre au monde et de diffuser librement les plans de son «Liberator», la première arme de poing à un coup entièrement en plastique conçue avec une imprimante 3D.

En fait, elle était presque entièrement en plastique, puisque le percuteur était en métal pour se conformer à la loi qui interdit les armes indétectables dans les scanneurs d'aéroports.

L'engin constitué de 16 morceaux tire de vraies balles de calibre 9 mm.

Le document, transmis à tous les directeurs des opérations de l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA), fait aussi état de plans de munitions et de grenades en polymère conçus par Defense Distributed.

Intrusion réussie

«C'est une nouvelle menace, et on la prend très au sérieux», a réagi Mathieu Larocque, de l'ACSTA. Il ajoute que son organisation, chargée de scruter les passagers et leurs bagages dans les aéroports canadiens, a «été l'une des premières à étudier cette arme».

«Nous avons fait des études et nos conclusions ont été partagées avec Transports Canada et d'autres partenaires comme la Gendarmerie royale du Canada», a dit Mathieu Larocque.

Trois mois après la mise en garde de Transports Canada, deux journalistes d'enquête israéliens ont réussi à déjouer à deux reprises la sécurité du parlement et à s'approcher du premier ministre Nétanyahou avec une réplique du Liberator. Ils avaient préalablement testé l'arme avec succès dans un stand de tir, comme on le voit dans la vidéo réalisée dans le cadre de ce reportage.

De l'avis de l'un des responsables de la sécurité de la Knesset, cité par le Times of Israel, les armes en plastique 3D «représentent un défi nouveau pour tous les systèmes de sécurité en Israël et dans le monde».

Le défi premier est bien sûr sa composition en plastique, qui rend théoriquement le Liberator indétectable dans les portiques que franchissent les voyageurs aériens. Ce que, bien entendu, l'ACSTA n'a pas voulu confirmer. Mathieu Larocque insiste plutôt pour dire que son organisation mise sur une «combinaison» d'éléments tels «les technologies, les systèmes de sûreté ainsi que les renseignements sur les passagers et l'échange d'informations» pour déjouer les éventuels terroristes.

Il assure aussi que les scanneurs corporels et à bagages de cabine peuvent détecter de telles armes.

Mortelles pour la cible et le tireur

Même si la fiabilité du premier pistolet en plastique 3D est encore hasardeuse, notamment à cause de sa fâcheuse tendance à exploser lors du tir, l'invention de Cody Wilson inquiète nombre de services de police et de gouvernements. D'autant plus que, selon le magazine Forbes, les plans du Liberator 9 mm ont été téléchargés environ 100 000 fois.

«Ces armes sont réellement indétectables, bon marché et faciles à produire. Elles vont tuer», a déjà averti le commissaire de la police australienne Andrew Scipione après avoir mis le Liberator à l'épreuve.

Freiner la diffusion

Plusieurs pays cherchent désormais un moyen de riposter et de freiner les velléités des apprentis fabricants d'armes.

Aux États-Unis, le département d'État a ordonné à Defense Distributed de ne plus diffuser les plans de son Liberator. En Suisse, la fabrication et la possession de ce type d'arme sont illégales.

Au Canada, le ministère de la Sécurité publique s'apprête à commander une étude ayant pour «objectif d'examiner [...] l'incidence éventuelle» de la technologie 3D «sur la fabrication d'armes à feu, de leurs pièces et de munitions, et de passer en revue les lois et politiques en vigueur sur les armes à feu».

Le Liberator

> 16 morceaux

> 1 coup

> Balle de 9 mm

> Coût: 35$

- Avec William Leclerc

Photo La Presse Canadienne

Le militant américain Cody Wilson, défenseur du libre accès aux armes à feu, a diffusé les plans de son Liberator.