Le débat sur la Charte des valeurs s'est transformé ces dernières semaines en débat sur le voile islamique. Mais ce voile est-il toujours celui qu'on croit? La Presse vous raconte deux histoires de voile qui vont à contre-courant des idées reçues et qui montrent bien que ce morceau de tissu n'est ni tout noir ni tout blanc.

1. VOILE ET SOUMISSION



«Si j'enlevais mon voile, je serais une femme soumise.»

Quand elle était plus jeune et que son père a voulu qu'elle porte le voile, Khadija a refusé net. Quand sa propre fille a voulu porter le voile, il y a deux ans, Khadija a aussi refusé. En fait, si Khadija était une femme soumise, elle l'enlèverait, ce voile qu'elle a décidé de porter il y a maintenant 10 ans. Parce que c'est là le souhait le plus cher de son mari.

Khadija nous a accordé cette entrevue en nous demandant de ne publier que son prénom. Pour ne pas mettre son mari dans l'embarras. Elle nous a raconté leur histoire d'amour, celle d'un homme musulman, issu d'un milieu non pratiquant, et d'une femme, née dans une famille beaucoup plus conservatrice.

Ils étaient encore au Maroc quand elle lui a annoncé, après la naissance de leur première fille, qu'elle porterait désormais le foulard.

«Pour lui, ça a été la catastrophe. Il s'est mis à hurler. Il m'a dit: Tu n'as pas le droit de me faire ça», raconte-t-elle. Khadija a tenu son bout. Pour elle, le voile, c'était devenu important.

«Pourquoi je l'ai mis? C'est difficile à expliquer. Je ressentais un certain vide. Pour moi, c'est devenu une nécessité. J'en ai eu besoin. En le revêtant, j'ai senti une paix intérieure indescriptible», dit-elle.

Pendant des mois, son mari a fait la tête. «Il ne voulait même pas sortir dans la rue avec moi. Il a vraiment fait pression pour que j'enlève mon voile. Pour lui, ça n'a pas de sens. Dans sa tête, une femme avec un voile, c'est comme une fleur fanée», explique-t-elle.

Bref, depuis 11 ans, Khadija mène un débat sur le voile dans sa propre maison. «Si j'enlevais mon voile, je serais une femme soumise.»

Tenir tête à son père

Khadija tient donc tête à son mari. Comme elle a tenu tête à son père, lorsqu'elle était plus jeune, quand il a tenté de convaincre ses quatre filles de se voiler. Ses soeurs ont décidé de se couvrir. Pas elle.

«J'ai dit à mon père: Je ne le porterai pas pour te faire plaisir. Je ne peux pas être hypocrite. Je ne ressens pas ce besoin-là.» Son père s'est incliné. Au cours des sept années suivantes, elle sortait de chez elle tête nue. Et elle a parallèlement mené la bataille auprès de sa mère pour que les garçons soient autant impliqués que les filles dans les tâches ménagères. «J'ai donné bien du fil à retordre à ma mère. Grâce à ma résistance, beaucoup de choses ont changé dans la maison.»

Khadija a poursuivi ses études. Elle est devenue ingénieure agronome. Et elle a rencontré son futur mari. Pour ses parents, il était hors de question qu'elle épouse ce garçon. Là encore, Khadija a tenu son bout.

«Je me suis battue pour l'épouser. Je leur ai dit: Cet homme, je l'aime et c'est lui ou personne d'autre.»

Elle est donc arrivée voilée au Québec, il y a six ans, enceinte de sa deuxième fille. Elle est restée deux ans à la maison parce qu'elle ignorait qu'ici, il faut réserver sa garderie des mois d'avance. «Rester à la maison! J'ai failli devenir folle! Je suis une hyperactive. Au Maroc, j'avais un travail de cadre supérieur.»

Malgré sa formation, elle a eu du mal à trouver un emploi. «J'ai posé ma candidature à plusieurs endroits. Et je me suis fait dire que si j'enlevais mon voile, je serais une excellente candidate.» Elle travaille finalement comme analyste dans les laboratoires d'une grande société pharmaceutique, à Saint-Laurent.

Elle est impliquée dans le conseil d'administration du Centre des femmes de Laval. Et elle a participé à trois congrès du Regroupement des centres de femmes, dont l'un a eu lieu à Saguenay. «Là-bas, j'ai eu un choc. Des femmes, surtout les plus âgées, me transperçaient du regard. Pour elles, c'était inadmissible qu'une femme voilée se dise féministe. Je crois en avoir convaincu quelques-unes que mon foulard ne m'empêche pas d'être féministe.»

Il y a quelques mois, sa fille maintenant âgée de 12 ans lui a demandé si elle pouvait porter le voile. Khadija a refusé. «Elle voulait le mettre parce qu'une de ses amies avait décidé de le porter. Je lui ai dit: Pas question.»

2. VOILE ET AGRESSION



«Les Québécoises, vous êtes toutes des chiennes.»

Carole Laflamme se souviendra longtemps de cette journée de septembre. Ce jour-là, il y a tout juste un mois, elle a vécu exactement l'inverse de la situation qu'on a beaucoup décriée dans les médias: c'est elle qui s'est fait insulter - et cracher dessus - par une femme voilée.

Mme Laflamme se trouvait dans un magasin à grande surface. Elle suivait une vieille dame dans une allée. Les deux femmes ont croisé deux musulmanes voilées, une jeune et une autre, plus âgée. La vieille dame leur a demandé, tout à fait civilement, note Mme Laflamme, pourquoi elles portaient le voile. «C'était une remarque tout à fait candide, faite par une personne qui, manifestement, ne comprenait pas. Ça n'était pas agressif», assure-t-elle.

La réponse de la jeune musulmane a aussitôt fusé: «Je me fous de vous», a-t-elle lancé à la vieille dame en lui faisant un doigt d'honneur. Carole Laflamme a été choquée par cette réponse. À ce moment, elle s'en est mêlée, soulignant à la jeune femme que la vieille dame «ne méritait pas ça».

Son intervention a mis le feu aux poudres. La jeune femme lui a craché dessus. «Vous n'êtes rien à mes yeux, s'est-elle mis à crier. Vous n'avez aucune importance. De toute façon, les Québécoises, vous êtes toutes des chiennes. Dans une génération, vos enfants seront élevés selon les principes du Coran.»

Photo Musa Sadulayev, Associated Press

Mme Laflamme n'en revenait pas. Elle a amené la vieille dame à l'écart en soulignant haut et fort à la jeune femme que son comportement était inacceptable. «Il y avait beaucoup de rage chez cette femme-là. C'est grave de dire ça.» D'autres gens dans le magasin, dont un couple d'origine asiatique, ont applaudi pour soutenir l'intervention de Mme Laflamme.

Carole Laflamme a choisi de raconter son histoire à l'animateur Sylvain Bouchard, il y a quelques semaines. Pourquoi? «C'est la première fois que je vis une chose comme ça. Il fallait que ça soit dénoncé. Les gens sont mal à l'aise de parler. Ils ont peur d'être traités de racistes.»

Mme Laflamme, qui travaille comme professeure de conditionnement physique, n'a rien contre les immigrants. Elle fréquente avec bonheur des gens de plusieurs communautés culturelles. «J'ai de très bons amis marocains qui ont immigré au Québec pour fuir la montée de l'islamisme», dit-elle.

L'incident qu'elle a vécu à la mi-septembre a modifié sa perception des musulmans, dit-elle. «Cet épisode-là m'a fouettée. Avant, j'avais une confiance totale. Maintenant, je suis plus sur mes gardes.»