La firme d'ingénieurs Dessau, placée sur la liste noire de l'Autorité des marchés financiers, le 20 juin dernier, va quand même conserver la totalité des 251 contrats en cours avec le ministère des Transports du Québec (MTQ), et ce, peu importe leur degré d'avancement, a appris La Presse.

Selon une compilation du MTQ effectuée la semaine dernière dans l'ensemble de ses 14 directions territoriales, ces 251 mandats d'ingénierie totalisent près de 60 millions de dollars.

De plus, en vertu des instructions signifiées au MTQ par le Conseil du trésor, la semaine dernière, la firme de Laval pourra aussi poursuivre sa participation dans quelque 76 consortiums actuellement sous contrat avec le Ministère, et où Dessau possède une participation (de 33 à 50% en règle générale).

La valeur de ces contrats qui touchent généralement des projets de plus grande envergure (échangeur Turcot, autoroute 10, etc.) totalise 263 millions de dollars, selon le MTQ.

Par contre, précise le Ministère, plusieurs dizaines de nouveaux contrats qui devaient être attribués à Dessau cette année, mais qui n'étaient pas encore signés, sont annulés ou suspendus.

Dans un courriel à La Presse, vendredi, le MTQ a indiqué que «selon une évaluation des contrats en cours d'octroi, Dessau perdrait une quinzaine de contrats, représentant une valeur de l'ordre de 40 à 45 millions de dollars en raison de son inscription au Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (RENA)».

Au cabinet du président du Conseil du Trésor du Québec, Stéphane Bédard, l'attachée de presse, Jo-Annie Larocque, parle plutôt d'une trentaine de contrats annulés ou suspendus. Selon le cas, le MTQ pourra attribuer les mandats à l'entreprise qui s'était classée deuxième, lors d'un appel d'offres, ou reprendre tout le processus de soumissions publiques.

Selon Mme Larocque, la sanction est tombée jeudi en fin de journée après une rencontre au sommet entre hauts fonctionnaires du MTQ et du Secrétariat du Conseil du Trésor pour fixer le sort de cette entreprise, qui n'a théoriquement plus le droit de soumissionner sur des contrats publics du gouvernement ou des municipalités du Québec jusqu'en 2018.

Dans les faits, précise Mme Laroche, Dessau pourrait présenter une nouvelle demande à l'AMF dans 90 jours, afin de pouvoir offrir à nouveau ses services sur les marchés publics - qui représentent 75% de ses activités au Québec. Ses dirigeants, ajoute-t-elle, devront démontrer à l'Autorité des marchés financiers et à l'Unité permanente anticorruption (UPAC) «que la firme est repentante» des activités de collusion auxquelles elle s'est prêtée, au cours des 15 dernières années.

Financement illégal et collusion

Avec ses 5000 employés et un chiffre d'affaires annuel d'environ 750 millions de dollars, Dessau est la troisième firme d'ingénierie en importance au Québec, après SNC-Lavalin et Genivar. C'est aussi un des consultants externes les plus actifs au ministère des Transports du Québec, comme en témoignent d'ailleurs les 327 mandats obtenus, seule ou en consortium, et qui sont en cours de réalisation sur le réseau routier de la province.

Au cours des derniers mois, cette firme fondée à Laval en 1957 a fait régulièrement les manchettes en raison de sa participation active au financement illégal des partis politiques et de son implication dans des stratagèmes de collusion à grande échelle sur des contrats municipaux, notamment à Montréal et Laval.

En mars dernier, l'ancien vice-président principal de la firme, Rosaire Sauriol, a reconnu publiquement, devant la commission Charbonneau, que Dessau avait distribué près d'un million de dollars en contributions politiques illégales à des partis provinciaux et municipaux, en plus de participer au trucage de nombreux contrats publics importants à la Ville de Montréal. M. Sauriol a démissionné de la firme à la suite de son témoignage.

En mai, il a été arrêté et accusé de corruption dans le cadre du projet d'enquête Honorer de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), qui a conduit à l'arrestation de 37 personnes, dont l'ex-maire de Laval Gilles Vaillancourt, accusé de gangstérisme.

Le 12 juin, Jean-Pierre Sauriol, président de Dessau, fils du cofondateur de la firme, Paul-Aimé Sauriol, et frère de Rosaire, a annoncé à son tour qu'il quittait l'entreprise. Pour la première fois en 55 ans d'existence, Dessau n'a plus un membre de la famille Sauriol à sa direction.

Ces départs n'ont toutefois pas suffi à l'UPAC, qui enquête sur les demandes d'inscription au registre des entreprises autorisées à soumissionner sur les contrats publics de 40 millions et plus. Les entreprises qui sollicitent des mandats de cette ampleur doivent obligatoirement être inscrites à ce registre tenu par l'Autorité des marchés financiers.

Mais le 20 juin dernier, au lieu de recevoir le feu vert de l'AMF, les noms de Dessau et de plusieurs de ses filiales et consortiums ont plutôt été inscrits sur la «liste noire» de l'AMF, soit le Registre des entreprises non admissibles à tous contrats publics, peu importe la valeur de ces contrats.

En date d'hier, seulement 55 entreprises sont inscrites sur cette liste, et aucune d'entre elles n'a l'importance ou la notoriété de Dessau.

La firme a annoncé, la semaine dernière, une première vague de licenciements de «plus ou moins 80 personnes», en relation directe avec son inscription au RENA.

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Dessau et le MTQ en cinq chiffres

> 251 Nombre de contrats en cours attribués à Dessau ou ses filiales sur la liste noire

> 59,65 millions Valeur totale de ces 251 contrats

> 76 Nombre des consortiums dont Dessau fait partie et qui ont des contrats en cours au MTQ

> 263 millions Valeur totale de ces 76 contrats en consortiums.

> De 40 à 45 millions Valeur estimée des contrats perdus par Dessau en raison de son inscription sur la «liste noire»

Source: Ministère des Transports du Québec (MTQ)