Depuis dimanche dernier, cinq officiers du SPVM - auxquels s'ajoutent peut-être des candidats de l'extérieur, mais cela reste à confirmer - se font la lutte pour succéder au chef sortant, Marc Parent, qui quittera ses fonctions en septembre. Si, depuis déjà quelques semaines, un ou deux des noms qui circulent font figure de favoris, la bataille est loin d'être gagnée, nous dit-on en coulisse.

Selon l'offre d'emploi officiel, la Ville de Montréal cherche un profil qui saura gérer les principaux défis, soit la radicalisation, la cybercriminalité et la prise en charge des manifestations. Bien sûr, ces défis sont importants et actuels. En outre, les protestations annoncées pour l'automne constitueront assurément pour le futur chef un baptême qui, espère-t-on, ne sera pas assombri par des événements sanglants.

Mais le candidat retenu devra relever d'autres défis de taille.

En effet, le nouveau chef arrivera au moment où s'amorceront les discussions sur le renouvellement de la convention collective de ses 4500 policiers. Le torchon brûle depuis longtemps entre les syndiqués et la Ville, et toute la question des fonds de pension n'a fait qu'envenimer les choses. Si Marc Parent, qui avait négocié le dernier contrat de travail avec la Fraternité des policiers, a toujours été épargné par la redoutable organisation syndicale, celle-ci sera peut-être moins indulgente pour le nouveau chef, surtout s'il se voit confier des mandats bien précis par la Ville.

La Fraternité évalue par ailleurs que d'ici les quatre prochaines années, au moins 800 policiers, soit 20 % des effectifs, auront pris leur retraite, une perte d'expérience qui constituera inévitablement un défi supplémentaire pour le nouveau chef.

Ramener la fierté

Mais il y a une raison supplémentaire pour laquelle le mandat de cinq ans du nouveau chef s'annonce déjà comme l'un des plus difficiles depuis des décennies et pourrait s'avérer un véritable piège selon plusieurs.

Le SPVM est meurtri. Des affaires, dont celles des policiers « ripoux » Ian Davidson et Benoit Roberge, ont miné le moral des troupes, sapé leur fierté et mis à mal, chez les autres corps de police, l'image de cette prestigieuse organisation policière souvent prise en exemple il n'y a pas si longtemps.

Des situations corsées, comme le départ dans des circonstances houleuses de certains membres de l'état-major, des histoires de policiers suspendus qui finissent en queue de poisson et la mauvaise gestion de certaines situations, dont l'occupation de l'hôtel de ville à l'été 2014, ont créé une ambiance malsaine, tant chez les syndiqués et les officiers que chez les patrouilleurs et les enquêteurs.

Au dernier tournoi de golf des cadres du SPVM, il y a deux semaines, le chef sortant, Marc Parent, et son ancien numéro 2, Bruno Pasquini, brillaient par leur absence, même si c'était la dernière occasion pour eux de faire leurs adieux. Les participants étaient beaucoup moins nombreux que d'habitude. Les représentants de la gendarmerie et ceux des enquêtes étaient assis chacun dans leur coin, à chaque extrémité de la salle.

La Presse croise chaque jour des hommes et des femmes qui ont le SPVM tatoué en bleu sur le coeur, pour qui le travail policier est une vocation et qui désespèrent de pouvoir de nouveau crier haut et fort avec fierté le nom de leur employeur.

Avant de remplir quelque mandat que ce soit, le nouveau chef devra d'abord ramener la sérénité dans sa propre maison, et le reste suivra.

On verra dans les prochaines semaines à quel point les autorités municipales confirmeront ou non leur réputation interventionniste et où elles se situeront. Nous aurons alors peut-être une bonne idée de ce à quoi ressembleront les cinq prochaines années. Il faudra voir aussi ce qu'en pensera la ministre de la Sécurité publique, Mme Lise Thériault, qui doit apposer son sceau. D'ici là, et c'est déjà commencé, les médias seront abreuvés de la moindre incartade concernant chacun des candidats et les prétendants et leurs alliés amorceront leur jeux de coulisses.

Les décideurs ne devront négliger aucun détail pour choisir le candidat qui possédera les meilleurs atouts. Mais pour relever un service de police particulièrement éprouvé comme le SPVM, le nouveau chef devra se montrer avant tout rassembleur.

Les frères d'armes qui se font la lutte

Fady Dagher  

-Assistant-directeur à la planification opérationnelle et les relations avec la communauté

-Dauphin du chef sortant Marc Parent, interlocuteur du SPVM en matière de radicalisation et de profilage racial

-La ville pourrait être tentée de nommer son premier chef issu des communautés culturelles de l'histoire du SPVM

-On a rarement vu ascension aussi rapide. Il est passé du grade de commandant à celui d'assistant-directeur en un peu plus de deux ans

Photo David Boily, archives La Presse

Fady Dagher

Bernard Lamothe 

-Assistant-directeur aux enquêtes spécialisées

-Sa carrière de 27 années s'est déroulée pour l'essentiel aux enquêtes et il jouit d'une avance insurmontable sur ce plan

-On nous le décrit comme « un bourreau de travail compétent qui livre la marchandise lorsqu'on lui confie des mandats, mais qui devra toutefois raffiner ses relations humaines ».

-Cadre depuis 2004, M. Lamothe est respecté de ses homologues des autres corps de police avec lesquels il a des rencontres régulières

Photo Bénédicte Millaud, Archives La Presse

Bertrand Lamothe

Philippe Pichet 

-Assistant-directeur au bureau du directeur

-Cadre au SPVM depuis 2005

-Décrit comme quelqu'un de très compétent, il a notamment occupé des fonctions à la planification opérationnelle et à la lutte au terrorisme

-Lors des manifestations et autres déploiements policiers, il est aux commandes dans le Centre de contrôle et de traitement de l'information (CCTI), là où se prennent les décisions stratégiques.

-Toutefois, son caractère réservé en ferait plutôt un excellent numéro deux, nous disent nos sources.

Image tirée de Dailymotion

Philippe Pichet

Patrick Lalonde  

-Assistant directeur de la région Ouest

-Décrit comme un policier très compétent, M. Lalonde a de l'expérience en matière de développement stratégique et de soutien aux opérations.

-M. Lalonde a dirigé plusieurs postes de quartier et est très impliqué auprès des jeunes

-Son mariage avec la fille d'un entrepreneur en construction de Laval, coaccusé avec l'ancien maire Gilles Vaillancourt qui est mort récemment, pourrait toutefois nuire à ses ambitions, souffle-t-on en coulisse.

Photo fournie par le SPVM

Patrick Lalonde

Mario Guérin 

-Assistant directeur de la région Sud

-De tous les candidats à l'interne, c'est celui qui est cadre depuis le plus de temps (1998). Il possède une grande expérience en gendarmerie, mais il a également occupé des postes ou des mandats aux enquêtes, notamment à la tête de la Division du renseignement durant quatre ans.

-Il est à l'origine d'un plan d'action en itinérance lancé en 2012 et de la prise en charge du mouvement Occupons Montréal à l'automne 2011.

-Il pourrait mêler les cartes, ont spontanément affirmé des sources consultées par La Presse.

Photo fournie par le SPVM

Mario Guérin

La guigne du SPVM

Printemps 2011 : Le SPVM découvre qu'il y a une taupe en son sein, Ian Davidson, qui tente de vendre une liste de sources au crime organisé.

Mai 2011 : Un commandant est déplacé pour des allégations concernant la vente de terrains. Il sera blanchi.

Août 2011 : Les enquêtes spécialisées sont confiées à un officier retraité du SPVM, Marc Saint-Laurent, mais ce dernier quittera après seulement un mois et demi.

Septembre 2011 : Deux assistants directeurs se font montrer la porte pour manque de loyauté. Ils continueront néanmoins de toucher leur salaire.

Octobre 2012 : Une policière est impliquée dans une intervention musclée. Le nom de Stéfanie Trudeau, alias matricule 728, deviendra un leitmotiv dans les médias.

Novembre 2012 : Des allégations d'attouchements sexuels et de primes pour achats de vêtements gonflées éclaboussent la section des agents doubles. Des responsables seront sanctionnés, dont un officier qui sera rétrogradé.

Décembre 2012 : La Division des opérations spécialisées est éclaboussée par une affaire de surveillance illégale dans ses propres bureaux. L'un des responsables sera muté dans un autre service.

Mars 2013 : Les médias font état de vives tensions entre le chef du SPVM Marc Parent et l'ancien directeur général de la ville, Guy Hébert.

Avril 2013 : Une commandante est interpellée pour conduite avec les facultés affaiblies après un souper bien arrosé avec d'autres officiers. Elle plaidera coupable à une accusation sommaire en cour et écopera de 80 jours de suspension.

Mai 2013 : Des patrouilleurs sont arrêtés pour trafic de substances dans la foulée de l'enquête sur l'affaire d'un enquêteur du SPVM battu au Mexique en janvier 2011.

Juin 2013 : Un inspecteur-chef, un inspecteur et un enquêteur sont suspendus dans la foulée d'allégations dont on ne connaît toujours pas la teneur, puisque le SPVM a conclu une entente confidentielle avec les deux anciens officiers.

Octobre 2013 : Benoit Roberge, expert des motards du SPVM, est arrêté pour avoir vendu de l'information aux Hells Angels.

Mars 2014 : Un enquêteur vedette, Philippe Paul, est suspendu pour des allégations de fréquentations douteuses. Il sera blanchi, nous dit-on.

Août 2014 : Une manifestation tourne au saccage à l'hôtel de ville de Montréal sans que les policiers interviennent. Des responsables sont sanctionnés, ce qui laisse des cicatrices au service.

Décembre 2014 : L'ex-enquêteur Mario Lambert est acquitté d'une accusation d'avoir frauduleusement utilisé un ordinateur du service en 2009.

Décembre 2014 : Un inspecteur est invité à prendre sa retraite pour avoir violé une directive de ne pas parler à un journaliste, alors que la conversation portait sur des généralités.

Janvier 2015 : Un sergent superviseur, André Thibodeau, est arrêté dans le démantèlement d'un réseau de paris sportifs liés à la mafia.

Juin 2015 : Les policiers sont critiqués pour ne pas avoir porté leur uniforme réglementaire aux funérailles de l'ancien premier ministre Jacques Parizeau. Marc Parent fait son mea culpa, mais on nous dit en coulisse que personne au service n'a cru bon d'exiger la tenue réglementaire.