À l'heure où le Service de police de la Ville de Montréal est durement critiqué pour sa répression à l'endroit des cyclistes, une équipe de La Presse a accompagné deux policières à vélo durant leur quart de travail.

7h50 à l'angle des rues Brébeuf et Gilford. Les patrouilleuses à vélo Nathalie Valois et Julie Boisvert guettent la piste cyclable qui a des airs d'autoroute en cette heure de pointe. L'agente Valois hèle un cycliste. Son délit: rouler avec des écouteurs. 56$ d'amende.

C'est là une des interventions classiques des policiers à vélo, qui sont aussi conseillers à la sécurité routière. Omettre de s'immobiliser aux feux rouges et aux arrêts sont les autres offenses qui valent le plus souvent des contraventions aux cyclistes.

Le grand patron du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Marc Parent, s'est récemment défendu en entrevue avec Le Devoir d'avoir lancé une chasse aux cyclistes au début de l'été. Une équipe de La Presse a accompagné des policières à vélo durant leur quart de travail.

D'entrée de jeu, la police a justifié l'augmentation de la répression par le lourd bilan routier. «Il y a déjà 3 morts cet été, ce qui est préoccupant», estime Nathalie Valois. On dénombre en moyenne chaque année entre 2 et 5 pertes de vie à vélo à Montréal, sans compter les blessés. En 2012, 27 cyclistes avaient subi des blessures graves sur les 712 blessés rapportés.

Ce bilan demeure cependant stable depuis cinq ans, malgré l'augmentation considérable du nombre de cyclistes année après année, explique le SPVM. Une étude de Vélo Québec publiée en 2010 estimait à 900 000 le nombre de cyclistes à Montréal.

Les manifestations étudiantes de l'an dernier, qui ont tenu les policiers débordés à l'écart des pistes cyclables, contribuent aussi à donner l'impression que la répression envers les cyclistes atteint désormais un sommet, commente l'agente Valois.

Résultat: les cyclistes sont nombreux à pester contre la situation. Comme ce jeune homme croisé durant notre ronde avec les policières. «J'ai reçu trois points d'inaptitude pour avoir brûlé un feu rouge l'autre jour, c'est de l'acharnement», déplore Frédérik Nissen.

«On a le devoir d'appliquer la loi», répliquent comme un mantra les policières à vélo, imperméables aux insultes et aux doléances des cyclistes en quête d'une deuxième chance.

L'agente Valois estime que pour chaque constat donné à un cycliste, il y en a 98 émis à des automobilistes.

Au même moment, une piétonne remercie les policières de leur présence. Elle explique s'être fait bousculer à trois reprises par des vélos en traversant la piste cyclable de la rue Brébeuf, dans le Plateau. «J'ai aussi vu une dame et son fils se faire frôler par un cycliste, qui a quand même trouvé le moyen de les engueuler.»

»Arrête-toi ! «

Le coup de sifflet brise le silence morne matinal. «Arrête-toi! Arrête-toi!», répète l'agente Valois en sommant un jeune homme de se ranger sur l'accotement d'une piste cyclable. Le cycliste n'a pas fait son arrêt. «Il ne l'a pas fait son stop lui non plus!», plaide le jeune homme en pointant un autre cycliste qui vient de l'échapper belle.

Les policières roulent plus tard paisiblement sur l'avenue Papineau, avant de décoller à toute vitesse. Elles interceptent un homme qui a omis de s'arrêter au feu rouge, en plus d'avoir roulé sur le trottoir sur le boulevard Saint-Joseph. Le cycliste a l'air surpris de voir les deux policières. «Vous ne pouvez pas me donner une chance?»

Sitôt le constat remis, les policières prennent en chasse un autre cycliste qui roule en trombe de l'autre côté de la rue. En vain. Elles ne parviennent pas à le rattraper.

Encore les écouteurs

L'heure de pointe achève. Boulevard Saint-Laurent, à l'angle de Sherbrooke, les policières somment de s'arrêter tour à tour deux cyclistes qui traversaient l'intersection avec des écouteurs.

L'un d'eux refuse carrément de s'identifier, ce qui entraîne un branle-bas de combat. Cinq autopatrouilles et 10 policiers débarqueront en renfort. L'un des agents de la paix, d'un calme olympien, tente de raisonner le cycliste. «Regardez où vont vos taxes!», lance-t-il aux passants. Il repartira avec deux contraventions totalisant près de 500$.

«Si la personne refuse de s'identifier, on ne peut pas simplement laisser faire et la laisser partir juste parce qu'elle portait des écouteurs, justifie l'agente Valois. La distraction est la principale cause d'accidents à Montréal, tous moyens de transport confondus.»

Les policières se font également un devoir de souligner les bons coups. «Votre arrêt était exemplaire! Voulez-vous un t-shirt?», demande à un cycliste étonné l'agente Valois, en extirpant le vêtement de son sac.

***

Déjà trois morts en vélo à Montréal

(1) Un cycliste a péri écrasé sous les roues d'un semi-remorque le 3 avril dernier à l'angle des rues de la Montagne et Wellington, au centre-ville. Sa mort est survenue en pleine heure de pointe, alors qu'il tentait vraisemblablement de se faufiler entre des véhicules immobilisés au feu rouge.

(2) Un jeune cycliste a perdu la vie après avoir été heurté par une camionnette, le 6 mai en matinée, rue Notre-Dame, dans l'est de la ville. Le vélo et le véhicule circulaient apparemment dans la même direction. La victime, qui ne portait pas de casque et roulait avec des écouteurs, aurait tenté un virage à gauche.

(3) Une collision avec une voiture a fauché un cycliste à la fin du mois de mai, à une intersection du quartier Côte-des-Neiges. L'enquête policière n'a toujours pas déterminé les causes de l'accident. Le cycliste est mort des suites de ses blessures quelques jours plus tard.

900 000 Le nombre de cyclistes à Montréal, selon une étude de Vélo Québec de 2010

Notre dossier complet, en texte et en images, dans La Presse+