Un changement de quart à l'usine Atwater au pire moment, trois heures de délai entre le premier incident et l'alerte, des arrondissements qui aggravent le problème en ouvrant leurs bornes d'incendie, l'angoisse que la seule usine encore en fonction flanche. Ces informations nouvelles, et une foule d'autres, on les retrouve dans les dizaines de courriels échangés par les fonctionnaires de la Ville de Montréal le jour de la «crise de l'eau», le 22 mai dernier, et obtenus par La Presse. Voici le fil des événements qui a conduit à l'avis d'ébullition d'une ampleur inégalée, qui a privé d'eau potable très exactement 1 323 167 Montréalais.

4h, 22 mai: Les préparatifs

Pour des travaux de réfection à l'usine Atwater, on commence à faire baisser le niveau d'un de deux réservoirs, le #2. L'opération avait été effectuée avec succès le 23 avril dernier. Elle est délicate, puisqu'on tente en même temps de remplir une gigantesque cuve au pied de la montagne, le réservoir McTavish, avant 8h30 du matin.

6h: Baisse critique

En continuant d'alimenter normalement le réservoir McTavish et les arrondissements voisins de Verdun et du Sud-Ouest, le réservoir #1 voit son niveau descendre dangereusement. Cette vieille structure n'a pas de détecteur. Les seules garanties sont «l'observation directe et le jugement» de l'opérateur.

Entre 6h15 et 6h30: Alerte aux turbulences

Le niveau bas du réservoir #1, l'eau qui continue d'affluer et le pompage normal créent «une turbulence inhabituelle». Des sédiments se détachent du fond du réservoir #1 et sont envoyés dans le réseau.

6h30: Changement de quart au pire moment

«À l'exact moment» où l'eau commence à être trouble, c'est l'heure du changement de quart, «avec la période de flottement que ça comporte». L'opérateur de nuit «n'a exprimé aucune inquiétude à l'opérateur de jour».

À partir de 6h30: Voguent les sédiments

Le réservoir #1 est complètement vidé, son fond de sédiments est lavé par l'eau en provenance du réservoir #2. «Aussitôt que les pompes «ont pompé de l'air», le relais de protection aurait dû provoquer un arrêt automatique d'urgence, ce qui ne s'est pas produit», note-t-on dans un document PowerPoint.

Entre 6h34 et 6h48: Pompes récalcitrantes

Une première pompe s'arrête à 6h34. Les autres suivent quelques minutes plus tard. On tente en vain de les redémarrer, ce qui aggrave le problème. «Les seuils critiques ont été franchis», peut-on lire dans une note «à usage interne seulement». «Le pompage a été redémarré à 6h45 environ... causant la transmission de sédiments dans le réseau.»

7h40: Alerte... dans les toilettes

Ce n'est qu'une heure et demie après les premiers incidents que le chef de division de l'usine Atwater est informé de la situation. La façon est cocasse: «eau brune à la porte 26 de l'usine dans les toilettes et le lavabo», peut-on lire dans une chronologie préparée par des fonctionnaires.

8h45: Premières communications

L'avis d'ébullition pour Verdun et Sud-Ouest lancé sur le fil Twitter de MTL_Alertes. À 9h, le Service d'avis à la communauté, un système téléphonique automatisé, commence à appeler les résidants du Sud-Ouest et de Verdun.

10h29: L'internet flanche

Alors qu'on suggère d'utiliser les médias sociaux au maximum, on constate que le portail de la Ville de Montréal n'est plus disponible, en «panne réseau», note un courriel.

10h30: Pavé de bonnes intentions

Dans le but de «purger le réseau», on suggère lors d'une téléconférence d'ouvrir les bornes d'incendie. Mauvaise idée, qui «a eu l'effet de brasser le réseau et de remettre en suspension des particules de corrosion qui étaient déposées dans les conduites du réseau», note dans un courriel la directrice du Service de l'eau, Chantal Morissette. On demande à 13h aux arrondissements de cesser cette opération.

11h30: Rencontre publique

Un point de presse très couru a lieu au quartier général de la Sécurité civile, sur le mont Royal. L'absence des élus lors de cette crise est déjà notée: «S.V.P., préciser que les élus ne peuvent être présents, mais suivent les opérations terrain de minute en minute», écrit à 11h21 un porte-parole de la Ville.

15h30: Difficile redémarrage

On commence à s'inquiéter: «Les réserves d'eau sont trop basses à Vincent-D'Indy (le plus gros réservoir de Montréal, qui dessert 430 000 personnes), mais problèmes de démarrage...»

16h41: Bon signe

La pompe 12 de l'usine Atwater redémarre enfin, ce qui «nous offrira 4 heures d'autonomie, écrit-on dans une chronologie envoyée aux responsables. Cela devrait aider à arrêter la baisse des niveaux, mais nous n'avons pas encore retrouvé notre capacité.»

17h46: Situation enfin stable

À cette minute précise, «nouvelles pompes sont en fonction à Atwater. Pour être confortable, il nous fallait 3 pompes en fonction à Atwater dès ce soir, en plus des 4 pompes de Des Baillets. Les réservoirs pourront se remplir cette nuit. Le réseau est stable.»

14h30: Les élus apparaissent

Une première conférence de presse avec un élu, Christian G. Dubois, est organisée. Il était temps, note un rapport d'Influence communication sur l'impact de la crise dans les médias. «Avant le point de presse de la Ville à 14h30, la couverture prenait une tournure plus négative (mauvaise gestion de crise). Le point de presse est venu neutraliser la couverture dans la mesure où Christian Dubois a défendu le travail de l'exécutif.»

21h30: Fin de la crise

Le maire Michael Applebaum annonce la levée de l'avis d'ébullition. Le communiqué est publié à 22h15.

24 mai, 6h29: pas d'erreur humaine

Au lendemain de la crise, la directrice du Service de l'eau, Chantal Morissette, conclut: «On ne peut affirmer qu'il y a eu bris mécanique [...] Je ne peux toutefois pas conclure à une erreur humaine. Donc trop tôt pour des excuses et des explications détaillées.»