Les Montréalais ont eu droit mercredi à un avis d'ébullition de l'eau d'une ampleur inégalée, touchant plus de 1,3 million de résidants sur l'île pour au moins 24 h. Les autorités feront le point jeudi à 17h00.

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Carte des zones touchées par un avis d'ébullition de l'eau



> Comment le manque d'eau potable vous affecte-t-il?

En cause: des travaux de «mise à niveau» de l'usine de filtration Atwater, dans l'arrondissement du Sud-Ouest. En point de presse en fin de matinée, la Ville a expliqué que ces travaux en cours depuis quelques années nécessitaient une baisse régulière du niveau d'eau du réservoir. Or, pour une raison encore inconnue, «c'était la première fois que le niveau était si bas : on a remis en circulation des particules qui étaient au fond du réservoir», a expliqué Chantal Morissette, directrice principale du Service de l'eau.

S'agit-il d'une erreur humaine? «On n'a pas de détails sur les raisons de l'événement, a répondu Mme Morissette. On n'a pas toutes les informations.»

Chose certaine, on a constaté tôt ce matin que l'eau du réservoir était trouble, «colorée», indice d'une turbidité au-delà des normes acceptables. Des tests ont par la suite établi cette turbidité à 5, soit exactement la limite permise. Par mesure préventive, on a décrété aussitôt un avis d'ébullition de l'eau dans deux arrondissements voisins de l'usine Atwater, le Sud-Ouest et Verdun.

Ampleur «extraordinaire»

Quelques heures plus tard, la zone touchée a été étendue à tout le territoire de la ville de Montréal, à l'exception des arrondissements de Pierrefonds- Roxboro, l'Île-Bizard-Sainte-Geneviève et Ahuntsic-Cartierville. Les villes de Charlemagne, Mont-Royal, Hampstead, Westmount, Côte-Saint-Luc, Montréal-Ouest et Montréal-Est sont également touchées. 



Comme l'ont constaté les Montréalais, plusieurs dizaines de bornes-fontaines ont été ouvertes, laissant couler des trombes d'eau pendant près d'une heure. «Certains arrondissements ont ouvert leurs bornes pour faire écouler l'eau trouble, mais le Centre de sécurité civile vient de leur demander d'arrêter cette pratique», a indiqué en début d'après-midi la porte-parole de la Ville, Valérie de Gagné.

Il s'agit d'une mesure d'économie d'eau, précise la porte-parole: l'usine Atwater étant arrêtée, c'est l'autre usine, Des Baillets, qui assure seule l'approvisionnement en eau des secteurs touchés. «L'eau est en quantité suffisante pour répondre aux besoins de la population, mais un important débit comme celui des bornes fontaines est à proscrire», explique Mme De Gagné.

On ignore quand les Montréalais pourront à nouveau compter sur de l'eau potable. L'avis durera «au moins 24 h», a précisé Mme Morissette. Son ampleur peut déjà être qualifiée d'«extraordinaire», a-t-elle ajouté. «À ma connaissance, c'est la première fois à Montréal qu'on émet un avis d'ébullition pour 1,3 million de personnes.»

Rien n'indique jusqu'à maintenant que des personnes aient pu tomber malades en buvant de l'eau contaminée. Les symptômes peuvent aller de maux de ventre à une gastroentérite. L'avis d'ébullition a été donné «à titre préventif», a tenu à préciser François Massé, coordonnateur de la Sécurité civile de l'agglomération de Montréal. «La situation est sous contrôle», a-t-il assuré.

Avant de la consommer, les résidants doivent faire bouillir l'eau «à gros bouillons», pendant au moins une minute, indique la Ville par communiqué. L'eau non bouillie peut tout de même être utilisée pour laver la vaisselle, les vêtements ou prendre une douche ou un bain -à condition de ne pas l'avaler, évidemment.

L'automne dernier, un reportage de La Presse faisait état des problèmes de contamination de l'usine Atwater, où une pièce était infestée de champignons, causant des maux de tête, de la toux et de l'irritation des yeux et du nez à une douzaine d'employés. Ce problème n'a «aucun lien» avec l'avis d'ébullition de l'eau qui frappe Montréal aujourd'hui, a précisé en point de presse Mme Morissette.

Située dans l'arrondissement Sud-Ouest, plus précisément sur la rue Joseph, l'usine de filtration Atwater est en fait un complexe industriel composé d'une quinzaine de bâtiments, construits entre 1856 et 1950. Selon le site de la Ville, elle a une production quotidienne moyenne de 700 000 mètres cubes, ce qui permet de desservir quelque 750 000 personnes. Elle a la plus grande capacité de production de l'eau au Québec et la 2eau Canada.



Pas de panique, dit la santé publique



« Vous savez que vous pouvez manger des pâtes pour souper, ou bien utiliser votre lave-vaisselle », déclare de prime abord la porte-parole de l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, Lise Chabot.

L'avis d'ébullition d'eau en vigueur pour une grande partie de la Ville de Montréal est préventif, dit-elle. Il ne faut pas paniquer.

« Si vous avez bu de l'eau et présentez des symptômes qui s'apparentent à une gastroentérite, vous devez rester à la maison. Se reposer et boire beaucoup d'eau est le meilleur remède. N'allez pas aux urgences », dit Mme Chabot.

Ce matin, la direction de l'ensemble des établissements de santé de Montréal a organisé une conférence téléphonique. Le plan d'urgence est colossal. Il faut s'assurer que tous les hôpitaux ou CHSLD ont de l'eau potable pour les 48 prochaines heures.

Dans les hôpitaux, les services de nourriture doivent faire attention de ne pas laver les fruits et légumes avec l'eau du robinet.

« Au niveau du bloc opératoire, on doit s'assurer que les médecins qui se brossent les mains pendant 10 minutes avant l'opération puissent le faire avec de l'eau embouteillée », explique la porte-parole de l'Agence de la santé et des services sociaux.

Les écoles primaires et secondaires de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) ont également un plan d'urgence. Elles fournissent aux élèves de l'eau embouteillée, du jus ou des berlingots de lait aujourd'hui. Une consigne a été envoyée ce matin à l'ensemble des directions scolaires pour qu'elles informent leur personnel d'interdire la consommation d'eau des fontaines.

« Nous demandons toutefois l'aide des parents pour la journée de demain, afin de prévoir une ou plusieurs gourdes pour leurs enfants, puisque nos établissements auront épuisé leur stock de boissons disponibles », a dit Alain Perron de la CSDM.

Les personnes qui travaillent dans les secteurs concernés par l'avis d'ébullition, que ce soit sur les chantiers de construction, dans les hôpitaux, organismes publics ou au sein d'une entreprise privée, doivent pouvoir compter sur leur employeur afin d'obtenir de l'eau potable.

« C'est prévu à l'article 145 du règlement sur la santé et la sécurité du travail. Même dans une situation comme aujourd'hui, avoir de l'eau potable est un élément vital. On ne peut pas demander à des gens de passer une journée sans avoir accès à de l'eau. C'est la responsabilité de l'employeur », a expliqué l'inspecteur de garde la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).

Si un employeur ne fournit pas de bouteilles d'eau à ses employés, il ne peut les empêcher à quitter le lieu de travail le temps de trouver une source en eau potable.

Ironie du sort, aujourd'hui est la journée internationale de la biodiversité, fêtée cette année sous le thème de l'accès à l'eau potable.

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D'où vient l'eau des Montréalais?


L'eau potable de la métropole est puisée à 90% dans le fleuve Saint-Laurent, en amont des rapides de Lachine, à 500 mètres de la rive. Chaque jour, on pompe et traite grosso modo une tonne d'eau par Montréalais.

L'autre 10% provient du lac Saint-Louis et de la rivière des Prairies et alimente l'ouest de l'île, formant un réseau pratiquement indépendant.

L'eau du fleuve est pompée quant à elle vers deux usines au sud de l'île, Des Baillets et Atwater. La première traite plus d'un million de mètres cubes par jour, la seconde 700 000.

Elles ont toutes les deux leurs propres réservoirs, qui leur permet d'accumuler 700 000 mètres cubes d'eau. À partir de l'usine Des Baillets, l'eau emprunte deux voies. La première conduite remplit un réservoir important, le réservoir Châteaufort (210 000 m3), en bordure du mont Royal, qui alimente 290 000 personnes au nord de la ville.

La seconde conduite de l'usine Des Baillets se connecte à la sortie de l'usine Atwater, là où a eu lieu l'incident qui prive actuellement 1,3 million de Montréalais d'eau potable. Cette dernière usine, située sur la rue Joseph dans l'arrondissement du Sud-Ouest, est celle qui alimente principalement les secteurs sud, centre et est de la métropole. À partir de l'endroit où se connectent les deux usines, et grâce à un réseau de stations de pompage, l'eau va remplir les six réservoirs aménagés sur le mont Royal. Le premier est le réservoir McTavish, sur l'avenue du Docteur-Penfield au pied du mont Royal, d'une capacité de 613 700 mètres cubes.

Il dessert tout le sud de la ville, de LaSalle à Rivière-des-Prairies, soit 430 000 personnes. Le réservoir suivant est Vincent-d'Indy, à 118 mètres d'altitude, qui donne de l'eau potable à 750 000 personnes au centre de la ville.

La nuit, lorsque la consommation est minimale, les réservoirs sont remplis. Le centre de contrôle de cette opération est situé dans le complexe de l'usine Atwater. Les réservoirs, situés sur le point le plus élevé de la ville, utilisent la gravité pour envoyer l'eau dans les résidences, les commerces et les industries.