Le forestier en chef du Québec, Gérard Szaraz, a déposé son rapport de fin de mandat cette semaine à l'Assemblée nationale. Après cinq ans, il affirme que la forêt québécoise se porte bien - contrairement à l'industrie forestière - et que les réformes du régime forestier portent leurs fruits. Entrevue.

Vous constatez que la forêt publique est en bon état. Est-ce le résultat de la crise dans l'industrie ou de la réforme dans la gestion des forêts? 



R C'est les deux. Les perturbations naturelles - les feux, les épidémies - ont été en deçà de la moyenne historique. Les perturbations humaines aussi: on a récolté seulement 55% de la possibilité forestière de 2008 à 2013. Mais on s'est intéressés à plusieurs indicateurs. Est-ce que la superficie forestière et le volume forestier se maintiennent? Oui. Est-ce que les vieilles forêts prennent de l'expansion? Oui. On a mis sur pied des objectifs et des mesures qui fonctionnent. On a encore du travail à faire, mais d'ici une vingtaine d'années, les seuils acceptables de proportion de forêt ancienne seront atteints.

La forêt est en bon état, mais la qualité et la valeur du bois continuent de s'appauvrir. Comment cela?



R Dans l'ensemble, on n'a fait que 55% de la récolte possible, mais si on ventile par essences, ça varie beaucoup. L'épinette noire est à 70 ou 80%. Alors que les espèces moins recherchées comme le bouleau ou le tremble sont délaissées. Si on regarde la forêt de feuillus, il y a des tiges qui sont destinées au déroulage et au sciage, pour l'ébénisterie, qu'on va chercher en priorité. Il y a un écrémage. Ça entraîne un appauvrissement.

Est-ce que les changements climatiques vont changer la donne?



R Les changements climatiques sont une très grande interrogation. On sait que le déplacement du climat vers le nord est plus rapide que la capacité d'adaptation des forêts. La science avance, mais on est encore au début de son application concrète. Avec la gestion écosystémique de la forêt, on essaie de reproduire le passé, mais l'avenir n'est plus ce qu'il était, pour citer Yogi Berra! Alors il faut introduire des modèles de probabilité. C'est un univers plus complexe.

Vous déplorez le manque de culture intensive de la forêt. Votre prédécesseur aussi. Pourquoi n'y a-t-il pas d'évolution?



R L'analyse économique est peu utilisée. On recherche le volume, pas la valeur. Si on veut aller vers des produits à valeur ajoutée, il faut faire plus de plantations intensives. On en fait un peu en Mauricie, mais ça ne s'est pas répandu ailleurs. Notre foresterie est encore de type cueillette. Les avantages des plantations intensives sont clairs: du bois plus près des usines, des travailleurs et des collectivités, des arbres plus intéressants, une productivité annuelle de quatre, six ou même huit mètres cubes par hectare, au lieu d'un mètre cube par hectare en forêt naturelle.

Que doit-on penser du rôle de la certification forestière par des organismes internationaux? Est-ce une intrusion dans notre régime forestier?



R Non, c'est une occasion. D'ailleurs, plus de 80% de notre territoire public est certifié. C'est donc une preuve que notre régime forestier est un atout et une clé pour l'accès aux marchés.

Dans le débat public, on oppose la protection du caribou forestier et la protection des emplois. Qu'en pensez-vous?



R En effet, actuellement, la situation est polarisée. J'espère que des scénarios plus nuancés vont émerger. Il y a peut-être des territoires où il y a des perturbations très fortes, pas seulement liées à la foresterie, mais aussi à la villégiature, à la motoneige. Dans les monts Valin, par exemple. Alors il faudrait exproprier les gens? Peut-être que les objectifs de conservation doivent être ajustés. Toutes les approches de conservation concordent, que ce soit au fédéral ou dans la norme FSC: si on veut maintenir l'espèce, il faut que le taux de perturbation soit restreint. Et les stratégies actuelles ne sont pas suffisantes. Les moyens déployés ne permettent pas d'atteindre les objectifs fixés par la loi. Il va falloir modifier l'un ou l'autre, ou les deux. Il faudrait avoir une palette de solutions où la présence humaine serait modulée.

L'entrée en vigueur du nouveau régime forestier en 2013 a donné plus de voix aux collectivités locales et aux peuples autochtones dans les décisions d'aménagement. Est-ce que ça donne des résultats?



R Dans la pratique, on est encore un peu dans l'enfance sur cet élément. Ça reste un mode de consultation-information et il y a de la place pour davantage d'implication des collectivités en amont des décisions. L'industrie a un parti pris pour la fibre, c'est normal, et j'ose espérer que le Ministère a une approche plus globale par rapport aux autres ressources et usages du territoire.

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