L'ex-directeur des travaux publics de Montréal, Robert Marcil, parlait avec «la clique de collusionnaires» 34 fois par mois, révèle le registre de ses appels téléphoniques. L'ancien cadre montréalais a par ailleurs reconnu avoir fait preuve de «négligence» en se rendant dans les bureaux d'un entrepreneur au moment même où la métropole était à lui confier un contrat de 2,6 millions.

La commission Charbonneau se poursuit aujourd'hui avec le témoignage de Robert Marcil, qui a démissionné le 26 juin 2009 après une enquête sur un voyage en Italie aux frais d'un entrepreneur. Le procureur Denis Gallant a présenté la liste de ses appels téléphoniques avec les principaux acteurs du système de collusion à Montréal exposé depuis cet automne. On a ainsi appris que l'ex-fonctionnaire a eu pas moins de 1111 contacts téléphoniques entre décembre 2004 et son départ de la Ville avec ceux que Me Gallant a décrits comme «la clique de collusionnaires de Montréal».

Les appels sont toutefois concentrés sur de courtes périodes pour certains, portant ainsi la moyenne mensuelle de ses appels à 34.

Hier, Robert Marcil avait pourtant assuré avoir eu des contacts «occasionnels» avec tous ces entrepreneurs, se limitant à les voir 2 ou 3 fois par année. Il avait précisé qu'il ne s'occupait pas des opérations de son service au jour le jour.

Aujourd'hui, Marcil a été incapable de justifier autant de contacts, expliquant simplement que les entrepreneurs pouvaient le questionner sur la planification des travaux et le paiement de leurs contrats réalisés.

Marcil a expliqué qu'il entretenait une relation d'amitié avec Bernard Trépanier, responsable du financement d'Union Montréal, mais qu'il connaissait peu l'ingénieur Michel Lalonde, qui a reconnu avoir partagé les contrats entre firmes de génie.

Les explications de Marcil à tous ces liens de proximité ont profondément irrité Me Gallant. «Vous côtoyiez beaucoup les gens qui sont à l'origine de la collusion, les responsables de l'explosion des prix à Montréal ; vous avez sous vos ordres des fonctionnaires corrompus qui ont avoué avoir reçu des gros montants ; vous parliez avec certains sur une base quotidienne, certains le soir ; vous parliez avec des firmes de génie ; vous acceptiez des billets d'activités de financement politique, qui à mon humble avis n'est pas votre place ; vous nous dites qu'en 2006 vous vous liez d'amitié avec le grand argentier d'Union Montréal, surnommé M. 3% ; lisiez-vous le journal ? Vous savez que ces gens ont été arrêtés ?» a lancé le procureur.

Le procureur Denis Gallant a également placé le témoin dans l'embarras quand il lui a souligné qu'il avait envoyé une lettre à ses employés pour leur rappeler l'entrée en vigueur de nouvelles règles d'éthique le jour même où il se rendait lui même chez une entreprise, Arctic Béluga.

Me Gallant a fait entendre deux conversations électroniques interceptées par la police lors d'une enquête sur le crime organisé 15 jours avant sa démission. Dans le premier enregistrement, on a entendu Robert Marcil, laisser un message sur le répondeur de Robert Lapointe, propriétaire de Construction Arctic Béluga. «Je passerais demain matin si tu es disponible pour te laisser tes documents», dit-il. Le deuxième enregistrement, survenu le lendemain, confirme que les deux hommes se sont rencontrés à Laval dans les bureaux du constructeur.

Confronté, Robert Marcil a confirmé s'être rendu dans les locaux d'Arctic Béluga. Il assure n'avoir aucun souvenir des documents qu'il a remis à son propriétaire, Robert Lapointe. À la même époque, l'entreprise était à décrocher un important contrat pour refaire des égouts dans le Sud-Ouest.

Pour être précis, la rencontre entre les deux hommes est survenue 8 jours après que le comité exécutif ait autorisé les travaux et 4 jours avant que le conseil municipal ne donne le feu vert final.

La juge France Charbonneau a semblé scandalisée que des représentants de la Ville se rendent chez entrepreneurs. «Vous avez totalement raison», a concédé Marcil, ajoutant qu'il s'agissait d'une «négligence» de sa part.

Le procureur a longuement questionné le témoin sur le code de conduite de la Ville qui interdisait depuis longtemps aux employés d'accepter des cadeaux. Marcil a admis ne pas avoir été «vigilant», ne sévissant pas contre ses employés qui recevaient fréquemment des cadeaux, comme des bouteilles de vin et des billets de hockey. «Personne n'a sévi. C'était une pratique d'affaires répandue et tolérée.»

La nuit porte conseil

La nuit a semblé porter conseil à l'ex-cadre municipal qui a repris son témoignage ce matin en précisant avoir fréquenté davantage certains entrepreneurs que ce qu'il avait affirmé hier. Avant la levée des audiences, hier, Me Gallant lui avait lancé un sérieux avertissement en faisant entendre les deux conversations interceptées par la police, qui enquêtait à l'époque sur plusieurs entrepreneurs liés aux Hells Angels.

Le procureur n'a pas prononcé les termes de «parjure» ou d'«outrage au tribunal», mais son avertissement était clair. D'autant que quelques minutes plus tôt, Robert Marcil avait certifié qu'il n'avait «jamais dîné» avec Robert Lapointe et qu'il n'avait eu que de rares contacts avec l'entrepreneur à Montréal.

Proximité étonnante

Cette proximité avec les entrepreneurs est d'autant plus étonnante que Marcil a témoigné tout au long de la journée qu'il se tenait loin des activités quotidiennes, puisqu'il était trop occupé avec son travail de responsable de 225 à 250 employés. Il tentait de se distancier d'affirmations de témoins, selon lesquels il intervenait dans leurs dossiers.

L'ex-cadre a tout de même dû admettre qu'il dînait de deux à trois fois par année avec chacun des principaux entrepreneurs de Montréal. Il affirme que ceux-ci l'invitaient à manger en début d'année pour savoir si Montréal planifiait beaucoup de travaux. Il pouvait parfois s'enquérir du moment où un homme d'affaires serait payé, mais il a assuré qu'il n'était jamais intervenu pour accélérer un paiement.

Robert Marcil ne voit rien de répréhensible au fait d'être près des entrepreneurs. Il a d'ailleurs dit, plus tôt dans la journée, qu'il savait que ses ingénieurs fréquentaient eux aussi les entrepreneurs. Il a même précisé qu'il ne voyait aucun problème à ce qu'ils les informent des travaux planifiés. «La planification est une cachette pour personne. Le fait de dire à un entrepreneur ou un ingénieur-conseil qu'une quinzaine de projets vont se réaliser, il n'y a pas de cachette là», a indiqué Marcil.

«Il n'y avait pas de contre-indication?», s'est étonné Me Gallant. «Non», a assuré Marcil.

Facteur de risque

Le procureur a également demandé au témoin s'il était normal que la liste des entrepreneurs intéressés à un appel d'offres soit publique et si le fait que l'estimation du coût des travaux soit connue n'était pas un facteur de risque de collusion. «Ce sont des éléments qui peuvent favoriser [la collusion], effectivement», a reconnu l'ex-directeur de la Ville.

Tout au long de la journée d'hier, Robert Marcil s'était présenté comme un cadre consciencieux qui «contrôlait» ses employés. Questionné sur les aveux d'un ex-fonctionnaire, qui a reconnu avoir truqué l'attribution des contrats, l'ex-cadre municipal a assuré qu'«on n'a pas laissé [Gilles] Surprenant à lui-même».

Outre Marcil, Claude Léger, ex-directeur général de Montréal, comparaîtra aussi devant la Commission, mais le moment précis de son témoignage n'a pas été précisé. L'homme a perdu son poste en 2009 dans la foulée du scandale des compteurs d'eau. Il travaille aujourd'hui à Macogep, firme chargée d'estimer le coût des projets à la Ville de Montréal.