Alors qu'il était directeur des travaux publics de la Ville de Montréal, Robert Marcil savait que ses ingénieurs fréquentaient les entrepreneurs, et il ne voyait aucun problème à ce qu'ils les informent des travaux en planification, a-t-il déclaré devant la commission Charbonneau.

L'ingénieur, qui a dû démissionner en 2009 après une enquête interne sur un voyage en Italie qu'il a fait aux frais d'un entrepreneur en construction, a commencé ce matin son témoignage devant la Commission.

Questionné par le procureur Denis Gallant, Marcil a reconnu qu'il savait que les employés chargés de planifier les travaux à la Ville de Montréal mangeaient à l'occasion avec des entrepreneurs. Il estime juge qu'il n'y avait aucun problème à ce qu'ils les informent des chantiers prévus dans l'année à venir.

«La planification n'est une cachette pour personne. Le fait de dire à un entrepreneur ou ingénieur-conseil qu'une quinzaine de projets vont se réaliser, il n'y a pas de cachette là», a indiqué Marcil.

«Il n'y avait pas de contre-indication?», s'est étonné Me Gallant. «Non», a répondu Marcil.

Le procureur a également demandé au témoin s'il était normal que la liste des entrepreneurs intéressés soit publique et si le fait que l'estimation du coût des travaux soit connue n'était pas un facteur de risque.

«Ce sont des éléments qui peuvent favoriser [la collusion], effectivement», a reconnu Marcil.

Robert Marcil s'est défendu de ne pas avoir agi devant la hausse du coût des contrats. Il a tenté, a-t-il soutenu, de mettre sur pied un service d'estimation pour mieux prévoir le coût des projets, expertise que la Ville ne possède pas. Il a de plus assuré qu'il avait remis en question la publication de la liste des entrepreneurs intéressés par appel d'offres, jugeant qu'il était «pernicieux» de la rendre publique.

S'il a admis que son service avait été gangrené par des employés corrompus, Marcil a assuré qu'«on n'a pas laissé M. Surprenant à lui-même». Il a précisé que l'ex-fonctionnaire ne s'occupait que de 20% des projets, et non la totalité.  

Marcil a par ailleurs contesté que le logiciel d'évaluation du coût des chantiers pouvait facilement être manipulé, comme l'a affirmé l'ex-fonctionnaire Gilles Surprenant.

Robert Marcil a commencé son témoignage ce matin en décrivant la mécanique interne de la division qu'il dirigeait. Chaque projet devait suivre un «processus extrêmement long qui pouvait nécessiter l'approbation de 12 personnes».

Même si sa signature était ajoutée de façon électronique, Marcil a assuré qu'il révisait tous les documents préparés par son collègue Yves Themens, qu'il a présenté comme le chien de garde de sa division. «Je ne peux pas faire une confiance aveugle à M. Themens ni à aucun autre employé.»

Outre Marcil, Claude Léger, ex-directeur général de Montréal, comparaîtra aussi devant la Commission, mais le moment précis de son témoignage n'a pas été précisé. L'homme a perdu son poste en 2009 dans la foulée du scandale des compteurs d'eau. Il travaille aujourd'hui à Macogep, firme chargée d'estimer le coût des projets à la Ville de Montréal.



85% plus cher à Montréal


Par ailleurs, on a appris ce matin que Montréal a longtemps payé ses chantiers d'égouts et d'aqueducs jusqu'à 85% trop cher, principalement en raison de sa propre négligence. C'est du moins ce que révèlent une série d'études gardées secrètes par la Ville mais présentées aujourd'hui à la commission Charbonneau.

La Commission a entendu ce matin le témoignage de l'enquêteur Guy Desrosiers au sujet des différentes études faites par la Ville de Montréal depuis 1997 sur les prix des chantiers. Il a démontré que les hauts dirigeants de Montréal étaient au courant du gonflement du coût des travaux mais qu'ils ont gardé l'information secrète. «Les problèmes ont persisté malgré les avertissements répétés», a dit M. Desrosiers.

La révision de ces études lui a permis de constater que Montréal payait jusqu'à 85,5% plus cher que les villes de banlieue comme Longueuil. Les deux tiers de cette facture seraient directement liés aux pratiques de la Ville. Montréal exigeait notamment que les coûts des chantiers soient établis en fonction de conditions hivernales même si les travaux se déroulaient en été. Les travaux hivernaux coûtent beaucoup plus cher en raison des mesures supplémentaires à prendre pour protéger les chantiers des intempéries. La concentration des compagnies de construction et leur faible nombre étaient responsables d'une hausse de 22,5% des prix.

Le témoignage de Desrosiers a pris fin ce matin, laissant la place à l'ex-directeur des travaux publics Robert Marcil.



Ce que huit témoins ont déclaré au sujet de Robert Marcil


Huit témoins ont expliqué le rôle de Robert Marcil dans le partage des contrats. Le témoignage le plus compromettant est celui de l'ingénieur Michel Lalonde, président de la firme Génius. Il a reconnu qu'il était le responsable de la collusion entre les firmes de génie à Montréal et a affirmé qu'il avait fait le partage de certains contrats en présence de Robert Marcil. Il soutient qu'il lui a offert une fois un pot-de-vin de 2000$ mais que, habituellement, c'était le responsable du financement d'Union Montréal, Bernard Trépanier, qui «s'occupait de le récompenser».

Les fonctionnaires Gilles Surprenant et Luc Leclerc, qui ont admis avoir été corrompus, ont affirmé que leur ancien patron était très près de l'entrepreneur Nicolo Milioto.

Un autre entrepreneur, Michel Leclerc, a quant à lui affirmé devant la Commission que Robert Marcil lui avait promis 180 000$ en faux extras s'il révisait à la baisse une  soumission afin que le projet soit accepté par les élus. Il a également affirmé qu'il avait souvent croisé l'ex-directeur des travaux publics au restaurant en compagnie de l'entrepreneur Nicolo Milioto.

Un vendeur de canalisations, Michel Cadotte, a affirmé pour sa part que Robert Marcil s'était soudainement intéressé à ses produits en 2006 au moment même où Nicolo Milioto cherchait un nouveau fournisseur. Cet intérêt a disparu tout aussi soudainement quand Cadotte a refusé de payer un pot-de-vin de 150 000$ pour trois fonctionnaires, à la demande de l'entrepreneur.

***

Le festival des trous de mémoire

1839 Nombre de fois où un témoin a répondu par «je ne sais pas» ou «je ne me souviens pas» depuis le début des audiences de la commission Charbonneau, en français comme en anglais.

553 À lui seul, l'entrepreneur Nicolo Milioto a souffert du tiers de ces trous de mémoire.

253 Un autre entrepreneur, Giuseppe Borsellino, arrive au deuxième rang pour le nombre de trous de mémoire. Fait à souligner, l'homme, qui alternait entre le français et l'anglais durant son témoignage, a eu plus de problèmes lorsqu'il s'exprimait dans la langue de Molière (171) que dans celle de Shakespeare (82).

209 Étonnamment, la troisième place des trous de mémoire revient à l'ex-fonctionnaire Gilles Surprenant, qui a admis avoir empoché plus de 600 000$ en pots-de-vin.